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l’image de la femme nue

qu’elle m’a reçu en place d’un amant qu’elle attendait, et sauf que je l’ai aperçue en compagnie d’une adorable enfant de trois à quatre ans, sa fille, qui est en nourrice quelque part, m’a dit Véronique sans le moindre embarras.

« Élianthe ? Le hasard ne m’a pas mis en face d’elle. Elle se promène beaucoup en mer avec son amie Irène Karef, l’étrangère à poitrine plate et cigarette aux lèvres qu’elle a ramenée un jour d’Italie et qui me semble un être assez équivoque.

« J’ai visité le rez-de-chaussée du château, de vastes salons, avec de très beaux meubles anciens disposés avec goût dans des pièces sobres que font valoir leurs lignes pures.

« À l’autre extrémité, une aile comprend la chambre et le boudoir de la gouvernante Séphora. Elle y vit tout à fait à part. Elle y a même un petit jardin personnel, à l’abri de haïes et de massifs.

« Le personnel se compose de domestiques grecs assez rébarbatifs et d’un quarteron de romanichels embauchés aux Saintes-Maries. On a mis à ma disposition une petite gitane qui s’occupe de ma nourriture et de mon logement. Car je suis chez moi, n’ayant voulu habiter la péniche qu’après l’avoir achetée et payée à Séphora.

« Le ravitaillement se fait par mer, grâce au Castor, qui, trois fois la semaine, dès l’aurore, file vers Marseille ou Port-Saint-Louis, où Solari fait les courses et recueille la correspondance.

« Et ainsi, depuis quinze jours, au vu et au su de tous ces gens, je mène près de ma chère Véronique une existence délicieuse. C’est la femme la plus charmante qui soit, mais que je ne puis considérer encore, malgré sa formation, que comme une enfant, une enfant sans pudeur et chaste, toujours nue sous son vêtement de laine ou de lin, lisant beaucoup, mais ne lisant que des livres licencieux, infatigable dans ses courses à cheval, et pourtant songeuse et contemplative, irréfléchie et raisonnable, influencée par l’exemple de ses sœurs et les prédications de Zoris, mais en même temps soumise à ses propres instincts.

« — Véronique, pourquoi vous êtes-vous donnée à moi ? »

« Enfin, voilà prononcée la phrase essentielle. Véronique hésite, étant de celles qui parlent peu d’elles-mêmes.

« — Pourquoi ? J’ai toujours pensé qu’un jour j’agirais selon la prédiction de la vieille Bohémienne… prendre le bonheur. Mais je ne voulais le prendre que dans des circonstances exceptionnelles. Mes sœurs et Irène Karef, qui se sont toujours un peu moquées de moi et de ma naïveté, me traitaient en petite fille romanesque et chimérique. Or, l’autre jour, Irène, après m’avoir fait les cartes et m’avoir lu dans la main, me dit avec étonnement :