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maurice leblanc

« — Vous avez à me parler ?

« — Oui.

« — Pourquoi la nuit ? Pourquoi pas dehors ?

« — J’habite l’hôtel.

« — Je ne vous ai jamais vue.

« — Mon mari m’a enfermée dans ma chambre depuis votre arrivée.

« — Qui est votre mari ?

« — Le propriétaire de l’hôtel.

« — Et c’est à cause de moi qu’il vous a enfermée ?

« — Vous êtes le fils de Guillaume Bréhange.

« Je n’ai pas envie de rire. Celle-là a un visage pathétique et des yeux douloureux. Elle a dû aimer profondément et souffrir. Si elle vient à moi, ce ne peut être que pour des raisons graves. Elle me les dit aussitôt.

« — Votre père a passé deux mois ici, il y a un an et demi. Il ne mangeait pas à l’hôtel et chaque jour, comme vous, s’en allait à la recherche dans les environs et jusqu’aux abords de la grande plaine de Camargue.

« — Et pourquoi est-il parti ?

« — C’est ce que je veux vous confier parce que cela peut vous être utile. Un jour on lui a téléphoné. L’appareil est près d’un bureau où je me tiens en temps ordinaire. J’ai entendu.

« — Et alors ?

« — Il ne connaissait pas la personne. Une femme évidemment, puisqu’il a répondu : « Oui, c’est moi-même, madame. » Puis elle a parlé une minute ou deux. Sur quoi, il a dit : « Nous sommes d’accord. J’y serai après-demain mercredi. En résumé, n’est-ce pas, je prends le train jusqu’aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Là, je loue un cheval. Je vous retrouve deux ou trois heures plus tard à un endroit que vous appelez l’Arche-d’Ormet, et je continue ensuite jusqu’à Port-Saint-Louis-du-Rhône où j’envoie d’avance mes bagages. » Et le lendemain matin, il est parti pour les Saintes-Maries.

« — Vous ne l’avez pas revu ?

« — Si. Comme je savais qu’il traverserait toute la Camargue de l’ouest à l’est, j’ai été l’attendre à Port-Saint-Louis. Il est arrivé à pied, après avoir abandonné son cheval. Il rayonnait de joie et n’a guère fait attention à moi. Cependant, comme il montait sur le bateau qui devait le conduire à Marseille, il m’a embrassée tendrement. C’est ce geste que quelques personnes d’Arles ont surpris et dont mon mari eut connaissance. Depuis, mon ménage est brisé et la vie est dure entre nous. C’est parce que mon mari était absent cette nuit que j’ai profité…

« Je l’interroge encore.