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l’image de la femme nue

faible, et toujours compliqué, mystérieux, fantasque, poursuivant des buts qu’ignoraient ses meilleurs amis, soucieux parfois, et même terriblement triste.

Un jour, il rencontra l’avocat de Guillaume Bréhange, avec lequel il étudiait un procès commencé par son père. Me Maubrez lui présenta sa femme et dit :

— Un vrai charmeur que votre père ! Je n’oublierai jamais les vacances qu’il a passées près de nous en Bretagne, tu te rappelles, Adrienne ? Nous étions à Port-Navalo, et, tandis que je pêchais, vous exploriez en barque le golfe du Morbihan, l’île aux Moines, Gavrinis… Il voulait même faire construire une villa avec portiques dans une petite île… Comment diable s’appelait-elle, Adrienne ?

— N’est-ce pas l’île aux Quatre-Fées ? dit Mme Maubrez en rougissant.

— C’est cela même, l’île aux Quatre-Fées. Il en était fou, je ne sais pas trop pourquoi, et il se passionnait pour les plans de sa villa. Il faisait si beau, d’ailleurs ! Tu as même préféré rester là-bas tout le mois d’octobre, plutôt que de m’accompagner en Amérique, et tu as eu fichtre raison !… Ah ! ce voyage raté !… Figurez-vous qu’une affaire importante…

Me Maubrez acheva la relation de son voyage.

— Et, pour comble, dit-il, après toutes ces mésaventures, qu’est-ce que je trouve à Paris, dès mon retour ? Ma femme malade, couchée, neurasthénique, abandonnée aux soins du docteur Gassier, l’ami de votre père, monsieur Bréhange. Tu te souviens, Adrienne ?… tout ton hiver dans une maison de repos ?

Stéphane se renseigna près du docteur Gassier.

— C’est ton père qui m’a envoyé chez elle, fit le docteur. Il arrivait de Bretagne, et il partait subitement pour une de ces fugues inexplicables décidées en quelques minutes, et qui avaient toujours une apparence de coup de tête.

Stéphane se rendit souvent chez Mme Maubrez. Contre toute évidence, il ne voulait pas croire que cette femme timide, effacée, jolie d’ailleurs, mais d’une beauté si discrète, eût été la maîtresse de son père. Cependant, comment ne pas voir en elle la femme dessinée par lui sur la première pierre de la villa que Guillaume Bréhange avait rêvé de bâtir ?

Il l’observait attentivement, Le buste se présentait, harmonieux et ample. Quand elle se tenait droite, son corsage se gonflait et s’abaissait au rythme d’une respiration souvent agitée, et il n’en pouvait détacher les yeux, comme s’il cherchait à retracer à son tour les formes prisonnières.