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maurice leblanc

« Mon cher Stéphane,

« Dieu a bien voulu bénir la décision que j’avais prise de me consacrer entièrement à Lui en nous éloignant d’Esmiane au moment où la catastrophe engloutissait notre pauvre domaine. Une telle faveur est une preuve de son indulgence et de sa bonté, et c’est pourquoi, avant de prononcer mes vœux et de prendre le voile, je vous écris pour la dernière fois où il m’est permis de signer de mon nom de Flavie et de régler mes affaires en ce monde, avant de n’être plus que la Sœur Adélaïde.

« J’ai la très grande joie d’avoir près de moi, en cette heure si importante, mes sœurs chéries, et si je vois que leurs yeux sont humides, je sens la fermeté de leur âme. La disparition du domaine ne les a pas touchées autant que j’aurais pu le croire. En esprit déjà, elles lui avaient dit adieu, résolues à le quitter un jour ou l’autre et à se tourner vers l’avenir avec plus de gravité et un sens plus religieux de l’existence. L’offre que vous m’avez fait faire par Séphora — et dont je vous remercie, quoique ne l’acceptant pas pour moi — cette offre les y aidera.

« Élianthe et Lœtitia se marient, mon cher Stéphane. Élianthe épouse un industriel qui l’emmène aux colonies. Lœtitia rejoindra sa sœur dès qu’elle sera mariée avec Henri Delroux, notre voisin de la ferme du Vieux-Madon qui la recherchait depuis longtemps. Toutes deux aiment leurs fiancés, auxquels chacune d’elles apportera la moitié de l’argent que vous avez remis à Séphora et que, ignorant notre ruine, elles considèrent comme leur dot. Quant à Séphora, dès que tout sera réglé, elle retournera en Asie-Mineure.

« Véronique, elle, a deviné la provenance de cet argent, et n’en veut pas. Je crois que son projet est de retourner en Camargue. Elle touchera sa part de l’indemnité que l’État versera aux victimes du cataclysme, et elle travaillera. C’est sa volonté. Peut-être, quelque jour, Dieu mènera-t-il vers elle l’homme qu’elle n’a jamais cessé d’aimer, celui qui a cru trop facilement aux calomnies portées contre elle, et à des sentiments d’oubli qu’elle n’a jamais éprouvés. Bien que blessée dans son juste orgueil, n’ayant pas voulu, par dignité, se défendre, elle reste, j’en suis sûre, dans le secret de son âme, la fiancée de l’homme à qui elle a montré, dès le début, une confiance si touchante. Pour moi, je ne trouverai la véritable paix que je suis venue chercher ici, que le jour où Véronique sera heureuse. Ce jour-là, Dieu m’aura pardonné.

« J’ai foi dans cet avenir prochain, mon cher Stéphane. Le devoir est souvent difficile à remplir parce qu’il est difficile à connaître. Mais aujourd’hui il est si clair, et il s’accompagne d’une telle certitude de bonheur, que je remets sans crainte, entre vos mains, la destinée de ma douce Véronique, la plus noble et plus pure d’entre nous toutes.