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l’image de la femme nue

culté. Mais, le soir, en s’en allant, le docteur refusa de se prononcer avant sa prochaine visite, c’est-à-dire cinq jours plus tard.

Ce fut, pour Stéphane, cinq jours d’épreuve infiniment cruels. Séphora avait insisté pour qu’il ne s’éloignât pas de la péniche. Tous les matins et le soir, elle accourait en hâte et lui rendait compte de l’état de Flavie. La fièvre tombait. La malade ne se plaignait plus.

Lœtitia était revenue au château. Les trois sœurs veillaient. Véronique ne quittait pas le chevet de Flavie, infatigable, somnolant quelquefois sur sa chaise, mais attentive au moindre mot, ne cessant de lui embrasser la main et de lui demander pardon, à voix basse. Flavie souriait, heureuse de sentir ses trois sœurs autour d’elle.

— Elle ne vous a rien dit pour moi ? interrogeait Stéphane.

— Rien. Votre nom n’est pas prononcé.

Le quatrième jour, Séphora, tranquillisée, resta plus longtemps avec lui. Elle raconta que Rosario l’avait conduite en Asie-Mineure où ils croisèrent en vue des côtes. Au cours d’une escale, profitant d’un jour où il s’était embarqué pour Smyrne avec le capitaine, elle avait soudoyé les hommes de l’équipage, qui la ramenèrent en France.

— Donc, jusqu’à nouvel ordre, conclut-elle, rien à craindre de Rosario.

Quant à Irène Karef, elle était tenue à l’écart. Il se produisait chez les trois sœurs une réaction curieuse et fort naturelle. Bouleversées, Élianthe et Lœtitia autant que Véronique, par le drame dont l’aînée était victime, se reconnaissant également coupables, elles reniaient tout à coup, avec une ingénuité charmante, leurs façons de vivre, de penser et de s’habiller. Vêtues à la manière de Flavie, coiffées comme elle, elles se montraient hostiles à tout ce qui évoquait le mauvais passé. Il leur semblait que la moindre compromission porterait malheur à Flavie. Plus de lectures douteuses. Plus de rêvasseries mythologiques. Élianthe refusa de voir Irène Karef. Toutes les trois se détournaient de Stéphane.

Rassuré sur l’état de Flavie, Stéphane sentit plus vivement combien l’acte de Véronique pouvait influer sur son amour. Si Véronique, dans un mouvement irréfléchi, avait voulu tuer sa sœur, c’est qu’elle aimait encore, lui, et d’une passion qui ne reculait pas devant le crime, et c’est qu’il s’était trompé en la croyant, sans preuves réelles, détachée et désireuse de rompre. Or, comment admettre que Flavie ne sacrifiât point son propre amour à celui de Véronique, qu’elle avait tout d’abord considérée comme la fiancée de Stéphane ? L’accord et l’intimité des quatre sœurs ne laissaient aucun doute à cet égard.