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maurice leblanc

Enfin, exalté par la joie, il eut le loisir d’observer le cher visage que l’extase embellissait encore, et il s’étonna de le trouver maintenant calme, serein, certes rayonnant d’ardeur sensuelle, mais comme pacifié et affranchi du masque impudique qui le dénaturait parfois. Étaient-ce les larmes qui l’inondaient ainsi de cette grâce enfantine qu’il avait souvent remarquée, aux mêmes minutes, chez Véronique ?

Il en fut tout attendri, et, appuyant sur son épaule la tête de la jeune femme, il demanda :

— Pourquoi pleures-tu, Flavie ?

Elle ne répondit pas, d’abord. Il insista :

— Si tu es heureuse, pourquoi pleures-tu ? Malgré tout, j’ai l’impression de ta tristesse… Rien n’est plus désolé que ton sourire.

Elle garda longtemps le silence. Ses larmes coulaient encore. Il reprit :

— Est-ce que tu regrettes ?

Elle avoua, d’un signe de tête. Il tressaillit :

— Tu regrettes, Flavie ? Est-ce possible ?

— Pourquoi veux-tu savoir ? N’es-tu pas heureux, toi ?

— Heureux comme je ne pensais pas qu’on pût l’être… Tu es dans mes bras… Rien ne peut faire que je ne t’aie possédée… C’est une joie surhumaine, que je n’espérais pas. Mais toi, Flavie, toi ? Qu’est-ce que tu regrettes ? Que je t’aie prise ?

— Que tu m’aies prise avant que nous ayons eu le temps de nous aimer, prononça-t-elle lentement.

— Mais je t’aime, Flavie.

— Et moi, je t’aurais aimé… et je t’aimais déjà. Mais il fallait attendre, Stéphane, et ne pas abîmer notre amour…

— Oh ! que dis-tu, Flavie ?

Avec une pudeur inhabile, elle noua, autour de ses épaules, son peignoir qui ne cachait rien d’elle, et, reprenant sa place contre Stéphane :

— Tu ne peux pas comprendre… et cependant, il faut que tu comprennes… même si tu dois souffrir… Entre nous, il ne faut pas de mensonges… Écoute, Stéphane… écoute-moi bien… Je n’ai pas aimé Jean de Milly. J’étais l’amie de sa sœur, qui habitait Marseille… Lui m’aimait… Ils m’ont entraînée sur leur yacht… Jusque-là, je vivais libre, mais très innocente, n’ayant pas subi l’influence de Zoris… Je ne savais rien de la vie… Et, une nuit, il est entré dans ma cabine…

— Et tu as cédé… fit Stéphane douloureusement.

— Comme aujourd’hui… après la même lutte…

— Et avec le même emportement…

— Tais-toi… n’en parlons pas… c’est un souvenir abominable… un cauchemar…