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maurice leblanc

vous approchant, alors que je n’ai qu’une idée, qu’un désir… vous ! vous !

Il fut stupéfait. Au lieu de l’explosion de colère qu’il attendait, qu’il espérait même, il vit la figure de Flavie se contracter. La bouche s’entr’ouvrit en un sourire de provocation, et l’expression devint hardie, sensuelle, palpitante de volupté… l’expression même de la Vénus Impudique !…

Brusquement, il lui plaqua sa main derrière la nuque, et lui baisa la bouche.

Elle eut un sursaut d’horreur et de haine, et cria, par deux fois :

— Misérable !… Misérable !… Ah ! comme je vous méprise !

Et elle s’enfuit.

Stéphane eut la conviction immédiate que jamais cette femme ne consentirait à le revoir. Il l’avait outragée au plus profond de sa pudeur et de sa dignité. Il s’était conduit comme une brute. Elle ne lui pardonnerait point…

Durant trois jours, Stéphane ne quitta pas la péniche. À quoi bon attendre Flavie au rond-point d’Endymion, puisqu’il était impossible qu’elle s’y rendît ! De fait, deux jours après, il put constater que l’endroit demeurait vide tout l’après-midi.

Ce qui le terrifiait, c’était l’idée de l’inévitable départ, et même que ce départ fût déjà effectué. Ne rencontrant personne, ne pouvant se renseigner, il eut la faiblesse de donner de l’argent à la petite gitane qui le servait et de lui poser négligemment, mais avec quelle anxiété ! des questions sur la vie qu’on menait au château : Élianthe et Lœtitia se promenaient-elles aujourd’hui ? Véronique était à cheval, sans doute ? Et Flavie, est-ce qu’elle s’apprêtait à partir ?

Il apprit ainsi, par bribes, que Flavie vivait dans sa chambre, s’y faisait monter ses repas. Ses sœurs lui tenaient souvent compagnie. Le jeune prêtre vint la voir un dimanche. Pas d’autre visite. De son côté, Zoris ne sortait pas du pavillon. On le disait malade.

Mais la gitane pouvait-elle, par son service, être au courant de tout ?

Stéphane donna aussi de l’argent au matelot Solari et il bavardait avec lui sur le pont du Castor. De la sorte, il savait d’avance les excursions projetées. Solari ne connaissait rien du départ de Flavie.

Si Flavie s’en allait, Stéphane était décidé à s’y opposer, au besoin à s’embarquer de force sur le Castor. Les plans les plus absurdes s’échafaudaient en lui. Habitué aux solutions sages et conformes à la réalité, sous le coup de circonstances, qui l’affolaient, il considérait les actes les plus désordonnés comme naturels et légitimes.