Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
maurice leblanc

— Allons, ne soyez pas trop sévère. L’amitié a tout de même certains privilèges.

Il lui fallut deux jours pour apaiser la méfiance de Flavie. Il affecta des airs indifférents. Il fut gai, frivole, et joua la comédie la plus habile, jusqu’à ce qu’elle désarmât et que leur intimité reprît tout son abandon. Mais il souffrait cruellement. Il entra d’un seul coup dans ce monde de la sensibilité excessive, où tout est motif à découragement, récriminations, doutes, jalousie, haine du passé et angoisse de l’avenir.

Il commença, pour son ami le docteur, plusieurs lettres : « Ainsi donc, voilà que j’aime… Quel supplice ! Je suis d’autant plus malheureux que cette femme que j’adore me paraît au-dessus de toutes les autres, et qu’à chaque instant je la rabaisse en moi-même et l’injurie comme la pire des créatures. Le manque de tout espoir me brise. Il n’y a que la religion qui suscite dans les êtres de pareilles forces de résistance. L’Église a tellement déformé la notion même de l’amour, que pour Flavie, j’en suis sûr, l’idée seule d’aimer est devenue une monstruosité, une cause de perdition, et que, si je lui disais le moindre mot, elle me considérerait avec épouvante et stupeur. Chaque dimanche, avant l’office, le vieux prêtre la rejoint dans son boudoir et la confesse. Voilà son véritable ami. Il n’y a d’amour qu’en Dieu et par Dieu. »

Flavie ne soupçonna rien du drame. Mais il n’avait plus maintenant aucun scrupule pour épier la jeune femme et chercher ce que trahissaient de son corps les plis de sa robe, les mouvements de ses jambes ou le soulèvement de sa gorge. « Le corps le plus magnifique qui soit », avait dit Séphora. Avec quelle frénésie, il en devinait les formes et en caressait la chair !

Et il songeait qu’à une époque encore récente tous les hommes avaient pu la dévêtir des yeux, lorsqu’elle se promenait ou se baignait avec autant d’impudeur que ses sœurs. Il songeait au vieux Zoris qui l’avait contemplée ainsi, et qui l’aimait, et se la représentait selon la juste vision qu’il gardait d’elle.

Et surtout, il songeait à ce Jean de Milly, son amant d’autrefois. Son amant ! Un homme l’avait possédée ! Elle connaissait la volupté, le délire… Images torturantes contre lesquelles il se débattait en vain.

Toute la fin du mois d’août, il demeura dans cet état de dérèglement nerveux où le moindre incident pouvait rompre ses relations amicales avec Flavie. Il le savait et s’en effrayait. Le dernier dimanche, un nouveau prêtre vint de Port-Saint-Louis. Il était jeune et de bel aspect. Flavie le reçut chez elle, comme elle recevait le vieux confesseur. Stéphane eut de la peine à se maîtriser.

Les trois jeunes sœurs avaient à peu près déserté le domaine : Élianthe