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L’AIGUILLE CREUSE

comme engourdi encore par une inexplicable torpeur.

Le lendemain, il demanda à Beautrelet :

— Qu’est-ce que vous faites là, vous ?

C’était la première fois qu’il s’étonnait de la présence d’un étranger auprès de lui.

Peu à peu, de la sorte, il retrouva toute sa connaissance. Il parla. Il fit des projets. Mais, quand Beautrelet l’interrogea sur les événements qui avaient précédé son sommeil, il sembla ne pas comprendre.

Et réellement, Beautrelet sentit qu’il ne comprenait pas. Il avait perdu le souvenir de ce qui s’était passé depuis le vendredi précédent. C’était comme un gouffre subit dans la coulée ordinaire de sa vie. Il racontait sa matinée et son après-midi du vendredi, les marchés conclus à la foire, le repas qu’il avait pris à l’auberge. Puis… plus rien… Il croyait se réveiller au lendemain de ce jour.

Ce fut horrible pour Beautrelet. La vérité était là, dans ces yeux qui avaient vu les murs du parc derrière lesquels son père l’attendait, dans ces mains qui avaient ramassé la lettre, dans ce cerveau confus qui avait enregistré le lieu de cette scène, le décor, le petit coin du monde où se jouait le drame. Et de ces