Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.

prenait une signification hostile. Des ennemis approchaient. Elle ouvrit les yeux.

Il y avait devant elle, à trois pas, assis sur ses partes de derrière, un animal bizarre, vêtu de longs poils café au lait, et dont les pattes de devant étaient croisées comme des bras.

C’était un chien, et tout de suite elle se rappela le chien de François, dont Honorine lui avait parlé comme d’une brave bête, dévouée et comique. Elle se rappela même son nom : Tout-Va-Bien.

En le prononçant, ce nom, à demi-voix, elle eut un mouvement de colère et fut sur le point de chasser l’animal affublé de ce sobriquet ironique. Tout-va-bien ! Et elle pensait à toutes les victimes de l’affreuse tourmente, tous les morts de Sarek, son père assassiné, Honorine se tuant, François devenu fou. Tout-Va-Bien !

Cependant, le chien ne remuait pas. Il faisait le beau de la façon qu’Honorine avait décrite, la tête un peu penchée, un œil clos, les coins de la bouche tirés en arrière jusqu’aux oreilles, les bras noués, et, vraiment quelque chose comme un sourire émanait de sa face.

Maintenant Véronique se souvenait : c’était sa manière, à Tout-Va-Bien, de manifester sa sympathie pour ceux qui avaient de la peine. Tout-va-bien ne supportait pas la vue des larmes. Quand on pleurait, il faisait le beau jusqu’à ce qu’on sourît à son tour et qu’on le caressât.

Véronique ne sourit point, mais elle l’attira contre elle et lui dit :

« Non, ma pauvre bête, tout ne va pas bien. Tout va mal, au contraire. N’importe, il faut vivre, n’est-ce pas ? et ne pas devenir fou soi-même comme les autres… »

Les nécessités de l’existence lui imposaient le besoin d’agir. Elle descendit à la cuisine, trouva quelques provisions dont elle donna une bonne part au chien. Puis elle remonta.

La nuit était venue. Elle ouvrit, au premier étage, la porte d’une chambre qui devait être inoccupée en temps ordinaire. Une immense lassitude l’accablait, causée par