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ches que la brise, plus forte, agitait davantage. Le soleil s’élevait dans la brume épaisse où les côtes de Bretagne demeuraient invisibles. Mais, à l’Occident, le regard, par delà la ceinture d’écume que trouaient les pointes noires des écueils, pouvait s’étendre vers les plaines désertes de l’Océan.

Assoupie, la Bretonne murmurait :

« On dit que la porte, c’est une pierre… et qu’elle vient de très loin, d’un pays étranger… c’est la Pierre-Dieu. On dit aussi que c’est une pierre précieuse… qui est d’or et d’argent mélangés. La Pierre-Dieu… la pierre qui donne mort ou vie… Maguennoc l’a vue… Il a ouvert la porte et il a passé le bras… Et sa main… sa main est tombée en cendres. »

Véronique se sentait oppressée. Elle aussi, la peur peu à peu la gagnait, ainsi qu’une eau mauvaise qui suinte et qui pénètre. Les événements horribles auxquels depuis quelques jours, elle assistait avec effroi, semblaient en provoquer d’autres plus terribles encore, qu’elle attendait comme un ouragan que tout annonce et qui va tout emporter dans sa course vertigineuse.

Elle les attendait. Elle ne doutait pas qu’ils ne vinssent, déchaînés par la puissance fatale qui multipliait contre elle ses attaques redoutables.


« Vous ne voyez pas les barques ? » demanda Honorine.

Véronique objecta :

« On ne peut les voir d’ici.

— Si, si, c’est le chemin qu’elles prendront sûrement, elles sont lourdes, et il y a une passe plus large à la pointe. »

De fait, après un instant, Véronique vit saillir au tournant du promontoire l’avant d’une barque.

Elle enfonçait profondément dans l’eau, très chargée, encombrée de caisses et de paquets sur lesquels des femmes et des enfants avaient pris place. Quatre hommes ramaient vigoureusement.

« C’est celle de Corréjou, dit Honorine, qui avait sauté de son lit, à moitié vêtue… Et voici l’autre, tenez. »

La seconde barque débouchait, aussi pesante. Trois hommes seulement ramaient et une femme.