secouent toute une paisible région jusqu’à ses entrailles ! Quel spectacle de l’enfer ! Quelle vision de folie et d’horreur ! Quel jeu ironique du plus épouvantable destin ! Son fils tuant son père, au moment où, après tant d’années de séparation et de deuil, elle allait embrasser l’un et l’autre, et vivre dans la douceur et dans l’intimité ! Son fils assassin ! Son fils semant la mort ! Son fils braquant l’arme implacable, et tuant de toute son âme et de tout sa joie perverse !
Les motifs qui pouvaient expliquer de tels actes, elle ne s’en souciait point. Pourquoi son fils avait-il fait cela ? Pourquoi son professeur, Stéphane Maroux, complice sans doute, instigateur peut-être, s’était-il enfui avant le drame ? Autant de questions qu’elle ne cherchait pas à résoudre. Elle ne pensait qu’à la scène effrayante, au carnage, à la mort. Et elle se demandait si la mort n’était point pour elle l’unique refuge et l’unique dénouement.
« Madame Véronique, murmura la Bretonne.
— Qu’y a-t-il ? fit la jeune femme, éveillée de sa stupeur.
— Vous n’entendez pas ?
— Quoi ?
— On sonne au rez-de-chaussée. Ce doit être vos valises qu’on apporte. »
Vivement elle se leva.
« Mais que dois-je dire ? Comment expliquer ?… Si j’accuse cet enfant…
— Pas un mot, je vous en prie. Laissez-moi parler.
— Vous êtes bien faible, ma pauvre Honorine.
— Non, non, ça va mieux. » Véronique descendit et, au bas de l’escalier, dans un large vestibule dallé de noir et de blanc, tira les verrous d’une grande porte.
C’était, en effet, un des matelots.
« J’ai frappé à la cuisine, dit l’homme. Marie Le Goff n’est donc pas ? Et madame Honorine ?…
— Honorine est en haut et désire vous parler. »
Le matelot la regarda, parut impressionné par cette jeune femme si pâle et si grave, et la suivit sans mot dire.