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L’esprit s’évanouissait dans les ténèbres. Véronique colla l’oreille aux lèvres mêmes qui s’épuisèrent en un dernier effort et elle perçut ces mots :

« Prends garde… prends garde… la Pierre-Dieu… »

Soudain il se dressa à demi. Ses yeux prirent de l’éclat, comme allumés par la lueur suprême d’une flamme qui s’éteignait. Véronique eut l’impression que son père, en la regardant, comprenait seulement toute la signification de sa présence et entrevoyait tous les dangers qui la menaçaient. Il prononça, d’une voix rauque et terrifiée, mais bien distincte :

« Ne reste pas, c’est ta mort si tu restes… Sauve-toi de cette île… Va-t’en… Va-t’en… »

Sa tête retomba. Il balbutia encore quelques mots que Véronique surprit :

« Ah ! la croix… les quatre croix de Sarek… ma fille… ma fille… le supplice de la croix…  »

Et ce fut tout.

Il y eut un grand silence, un silence énorme que la jeune femme sentit peser sur elle comme un fardeau dont le poids s’aggravait à chaque seconde.

« Sauve-toi de cette île !… répéta une voix… « Va-t’en. » C’est votre père qui vous l’ordonne, madame Véronique. »

Honorine était auprès d’elle, livide, les deux mains collées à une serviette en tampon, rougie de sang, qu’elle tenait contre sa poitrine.

« Mais il faut vous soigner ! s’écria Véronique… Attendez… faites-moi voir.

— Plus tard… on s’occupera de moi plus tard… bredouilla la Bretonne… Ah ! le monstre ! si j’avais pu arriver à temps ! mais la porte d’en bas était barricadée… »

Véronique la supplia :

« Laissez-vous soigner… Entendez-vous…

— Tout à l’heure… D’abord… Marie Le Goff, la cuisinière, au bout de l’escalier… elle est blessée aussi… à mort peut-être… allez voir… »

Véronique sortit par la porte du fond, celle que son fils avait franchie en s’enfuyant. Il y avait un vaste