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Et en même temps, dans la même seconde où l’enfant tenait encore le bras tendu et où le vieillard s’effondrait, une porte s’ouvrait au fond. Honorine apparut, et l’abominable vision la frappa pour ainsi dire en pleine figure.

« François ! hurla-t-elle… toi ! toi ! »

L’enfant bondit sur elle. La Bretonne tenta de lui barrer le passage. Il n’y eut même pas de lutte. L’enfant recula d’un pas, leva brusquement l’arme qu’il tenait à la main, et tira.

Honorine plia les genoux et s’affaissa en travers de la porte. Et, tandis qu’il sautait par-dessus le corps et qu’il s’enfuyait, elle continuait à dire :

« François !… François !… non, ce n’est pas vrai… Ah ! est-ce possible ?… François… »

Un éclat de rire, dehors. Oui, l’enfant avait ri. Véronique l’entendit, ce rire affreux, infernal, pareil au rire de Vorski, et tout cela la brûlait d’une telle souffrance qu’elle reconnut sa souffrance d’autrefois, celle qui la brûlait en face de Vorski !

Elle ne poursuivit pas le meurtrier. Elle ne l’appela point.

Près d’elle, une voix faible murmurait son nom.

« Véronique… Véronique…  »

M. d’Hergemont gisait à terre et la regardait de ses yeux vitreux, tout remplis de mort déjà.

Elle s’agenouilla près de lui, et comme elle essayait d’ouvrir son gilet et sa chemise ensanglantés, afin de panser la blessure dont il mourait, il l’écarta doucement de la main. Elle comprit que les soins étaient inutiles et qu’il voulait lui parler. Elle se pencha davantage.

« Véronique… pardon… Véronique…  »

Cela, c’était l’expression première de sa pensée défaillante. Elle le baisa au front en pleurant :

« Tais-toi, père… ne te fatigue pas… »

Mais il avait autre chose à dire, et sa bouche articulait vainement des syllabes qui ne formaient pas de sens et qu’elle écoutait désespérément. La vie s’en allait.