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— Et vous croyez que mon père me fera bon accueil ?

— Il vous recevra à bras ouverts, madame Véronique, s’écria la Bretonne et nous serons tous heureux, pourvu… pourvu qu’il ne soit rien advenu… C’est si drôle que François n’accoure pas ! De partout, dans l’île, il pouvait voir notre canot… depuis les îles de Glenans presque. »

Elle retombait à ce que M. d’Hergemont appelait ses billevesées, et elles continuèrent la route en silence, Véronique impatiente et anxieuse.

Soudain Honorine se signa.

« Faites ainsi que moi, madame Véronique, dit-elle. Les moines ont sanctifié le lieu, mais il reste de l’ancien temps bien des choses mauvaises et qui portent malheur. Surtout dans ce bois-là, le bois du Grand-Chêne. »

L’ancien temps, cela signifiait sans doute l’époque des Druides et des sacrifices humains. Et, de fait, elles pénétraient dans un bois où les chênes, isolés les uns des autres, dressés sur des monticules de pierres moussues, avaient une allure de dieux antiques, chacun avec son autel, son culte mystérieux et sa puissance redoutable.

Véronique se signa comme la Bretonne, et ne put s’empêcher de dire en frissonnant :

« Comme c’est triste ! Il n’y a pas une fleur sur ce plateau désolé.

— Il en vient d’admirables quand on s’en donne la peine. Vous verrez celles de Maguennoc, au bout de l’île, à droite du Dolmen-aux-Fées… un endroit qu’on appelle le Calvaire-Fleuri.

— Elles sont belles ?

— Admirables, je vous dis. Seulement il va chercher lui-même la terre à certaines places. Il la prépare. Il la travaille. Il la mêle à certaines feuilles spéciales, dont il connaît le pouvoir… »

Et elle reprit entre ses dents :

« Vous verrez les fleurs de Maguennoc… des fleurs comme il n’y en a pas au monde… des fleurs de miracle… »

Au détour d’une colline, la route s’abaissa en une dépression brusque. Une coupure énorme séparait l’île en deux parties, dont la seconde se voyait à l’opposé,