« Assez rêvé, madame Véronique, dit Honorine.
— C’est autre chose que des rêves et des souvenirs, répondit-elle, c’est le remords.
— Des remords, vous, madame Véronique, vous dont la vie n’a été qu’un martyre.
— Un martyre qui fut une punition.
— Mais tout cela est fini, madame Véronique, puisque vous allez retrouver votre fils et votre père. Allons, voyons, ne pensez qu’à être heureuse.
— Heureuse, puis-je l’être encore ?
— Si vous pouvez l’être ! Vous allez voir ça et avant longtemps ! Tenez, voici Sarek. » Honorine prit sous son banc, dans un coffre, un gros coquillage dont elle se servait comme d’une conque, à la manière des matelots d’autrefois, et, appliquant ses lèvres à l’ouverture, gonflant les joues, elle en tira quelques notes puissantes, pareilles à des mugissements, qui emplirent l’espace.
Véronique l’interrogea du regard.
« C’est lui que j’appelle, dit Honorine.
— François ! vous appelez François !
— À chacun de mes retours, il en est ainsi. Il dégringole du haut des falaises où nous habitons, et il vient jusqu’au môle.
— Alors je vais le voir ? fit Véronique toute pâle.
— Vous allez le voir. Doublez votre voilette pour qu’il ne vous reconnaisse pas d’après vos portraits. Je vous parlerai comme à une étrangère qui vient visiter Sarek. »
On apercevait l’île distinctement, mais le pied des falaises était caché par une multitude d’écueils.
« Ah ! oui, des écueils, ce n’est pas ça qui manque ! Ça grouille comme un banc de harengs, s’écria Honorine, qui avait dû éteindre le moteur et se servait de deux petites rames très courtes. Tenez, la mer était calme tout à l’heure. Ici, jamais. » C’étaient, en effet, des milliers et des milliers de menues vagues qui s’entre-choquaient, se brisaient entre elles, et livraient aux roches d’incessantes et d’implacables batailles. Le canot semblait naviguer sur le remous d’un