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et un béret, comme son grand ami, M. Stéphane, mais un béret rouge, le sien, et qui lui va à ravir.

— Il a d’autres amis que M. Maroux ?

— Tous les gars de l’île autrefois. Mais, sauf trois ou quatre mousses, les autres, depuis que les pères sont à la guerre, ont quitté l’île avec les mères et travaillent sur la côte à Concarneau, à Lorient, laissant les vieux seuls à Sarek. Nous ne sommes plus qu’une trentaine dans l’île.

— Alors, avec qui joue-t-il ? Avec qui se promène-t-il ?

— Oh ! pour cela, il a le meilleur des compagnons.

— Ah ! et qui ?

— Un petit chien que Maguennoc lui avait donné.

— Un chien ?

— Et le plus drôle qui soit, mal fichu, ridicule, demi-barbet et demi-fox, mais si amusant, si cocasse ! Ah ! c’est un type que M. Tout-Va-Bien.

— Tout-Va-Bien ?

— François l’appelle ainsi, et aucun nom ne lui conviendrait mieux. Il a toujours l’air heureux, content de vivre… indépendant, d’ailleurs, disparaissant des heures, même des jours entiers, mais toujours là quand on a besoin de lui, quand on est triste et que les choses ne marchent pas comme on voudrait. Tout-Va-Bien déteste les larmes, les gronderies, les querelles. Sitôt qu’on pleure ou qu’on fait mine de pleurer, il s’asseoit sur son derrière, en face de vous, fait le beau, ferme un œil, ouvre l’autre à moitié, et semble si bien rire lui-même que l’on éclate de rire. «  Allons, mon vieux, dit François, tu as raison, tout va bien. Faut pas s’en faire, n’est-ce pas ? » Et lorsque l’on est consolé, Tout-Va-Bien s’éloigne en trottinant. Son devoir est accompli. »

Véronique riait et pleurait à la fois. Longtemps elle garda le silence, s’assombrissant peu à peu et envahie par un désespoir qui submergeait toute sa joie. Elle pensait à tout ce qu’elle avait perdu de bonheur durant ces quatorze années où elle était restée mère sans enfant, portant le deuil d’un fils qui vivait. Tous les soins que l’on donne à l’être qui naît, toute la tendresse dont on l’entoure et qu’on reçoit de lui, toute la fierté que l’on