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sécurité, de crimes conçus, préparés, exécutés par un monstre. En temps de paix, les monstres n’ont pas le temps d’aller jusqu’au bout de leurs rêves stupides. Aujourd’hui, et dans cette île isolée, celui-là a trouvé des conditions particulières, normales…

— Ne parlons pas de tout cela, voulez-vous ? » murmura Véronique d’une voix qui tremblait.

Don Luis baisa la main de la jeune femme, puis saisit Tout-Va-Bien et l’éleva dans ses bras.

« Vous avez raison. N’en parlons pas. Sans quoi voici les larmes, et Tout-Va-Bien serait mélancolique. Tout-Va-Bien, délicieux Tout-Va-Bien, ne parlons donc plus de l’épouvantable aventure. Mais tout de même, rappelons-en certains épisodes qui furent jolis et pittoresques. N’est-ce-pas, Tout-Va-Bien, le jardin aux fleurs gigantesques de Maguennoc, tu t’en souviendras comme moi ? Et la légende de la Pierre-Dieu, l’épopée des tribus celtiques, errant avec la dalle funéraire de leurs rois, la dalle toute frissonnante de Radium, d’où part inlassablement un bombardement d’atomes vivifiants et miraculeux, n’est-ce pas, Tout-Va-Bien, cela ne manque pas d’allure ? Seulement, vois-tu, exquis Tout-Va-Bien, si j’étais romancier et chargé de raconter l’histoire de l’île aux trente cercueils, je me soucierais peu de l’affreuse vérité, et je te donnerais un rôle beaucoup plus important. Je supprimerais l’intervention de ce raseur et de ce phraseur de don Luis, et c’est toi qui serais le sauveur intrépide et silencieux. C’est toi qui lutterais contre le monstre abominable, c’est toi qui déjouerais ses machinations, et qui, à la fin, par la grâce de ton merveilleux instinct, punirais le vice et ferais triompher la vertu. Et ce serait beaucoup mieux ainsi, puisque nul mieux que toi, délicieux Tout-Va-Bien, ne serait capable de nous montrer, par mille preuves plus convaincantes les unes que les autres, que dans la vie tout s’arrange et que tout va bien…