— Un instant. Connaissez-vous les noms de ces quatre matelots ?
— Je les ai connus. Je ne me les rappelle pas.
— Vous ne vous rappelez pas que c’étaient des noms de Bretagne ?
— En effet. Mais je ne vois pas…
— Si vous n’êtes jamais venue en Bretagne, votre père y est venu fort souvent, à cause des livres qu’il écrivait. Il y a même séjourné du vivant de votre mère. Dans ces conditions il a dû entrer en relations avec des hommes du pays. Admettons qu’il ait connu depuis longtemps les quatre matelots, et que ces hommes, dévoués à lui, ou achetés par lui, il les ait engagé spécialement pour cette aventure… Admettons qu’ils aient commencé par déposer votre père et votre fils dans quelque petit port d’Italie, puis que, bons nageurs tous les quatre, ils aient fait couler leur yacht en vue des côtes. Admettons…
— Mais ces hommes existent ! s’écria Véronique avec une agitation croissante. On pourrait les interroger !
— Deux sont morts de leur belle mort il y a quelques années. Le troisième, c’est un nommé Maguennoc, un vieux que vous trouverez à Sarek. Quant au quatrième, vous l’avez peut-être vu tout à l’heure. Avec l’argent que lui a rapporté cette affaire, il a acheté un fonds d’épicerie à Beg-Meil.
— Ah ! celui-là, on peut lui parler tout de suite, dit Véronique frémissante. Allons le chercher.
— Pourquoi faire ? J’en sais plus que lui.
— Vous savez… vous savez…
— Je sais tout ce que vous ignorez. Je puis répondre à toutes vos questions. Interrogez-moi. »
Véronique n’osait pas lui poser la question suprême, celle qui commençait à palpiter dans les ténèbres de sa conscience. Elle avait peur d’une vérité qui n’était peut-être point admissible, vérité qu’elle entrevoyait obscurément, et c’est d’un ton douloureux qu’elle bégaya :
« Je ne comprends pas… je ne comprends pas. Pourquoi mon père aurait-il agi ainsi ? Pourquoi aurait-il