Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/259

Cette page a été validée par deux contributeurs.


« Devant sa mère, Abel tuera Caïn.
« Le père alors, issu d’Alamanis,
« Prince cruel aux ordres du destin,
« Par mille morts et par lente agonie,
« Ayant occis l’épouse, un soir de juin,

« Flamme et fracas jailliront de la terre
« Au lieu secret où gît le grand trésor,
« Et l’homme enfin retrouvera la pierre,
« Jadis volée aux Barbares du Nord,
« La Pierre-Dieu qui donne vie ou mort. »

Don Luis Perenna avait commencé sa lecture d’un ton emphatique, en faisant valoir l’imbécillité des mots et la banalité du rythme. Il la termina sourdement, d’une voix sans timbre qui se prolongea en un silence d’angoisse. L’aventure entière apparaissait dans toute son horreur.

Il reprit :

« Vous comprenez bien l’enchaînement des faits, n’est-ce pas ? Stéphane, vous qui fûtes une des victimes et qui avez connu ou connaissez les autres victimes ? Vous aussi, Patrice ? Au quinzième siècle, un pauvre moine, à l’imagination détraquée, au cerveau hanté de visions infernales, exhale ses cauchemars en une prophétie que nous qualifierons de « loufoque », qui ne repose sur aucune donnée sérieuse, dont chaque détail est amené par les nécessités de la rime ou de la césure, et qui, certainement dans l’esprit du poète, et au point de vue de la réalité, n’a pas plus de valeur que si le poète avait tiré des mots au hasard du fond de son escarcelle. L’histoire de la Pierre-Dieu, les traditions et les légendes, rien de tout cela ne lui apporte le moindre élément de prédiction. Cette prédiction ; il l’extrait de lui-même, le brave homme, sans penser à mal, et simplement pour mettre un texte quelconque en marge du dessin diabolique qu’il a minutieusement enluminé. Et il en est si content qu’il prend la peine, avec la pointe