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pas à l’instant, se produirait trop tard. Or, il ne bougeait pas. Vorski frappa donc en toute certitude, comme on frappe une proie condamnée d’avance.

Pourtant, — et cela se passa si vite et d’une manière si inexplicable qu’il n’aurait pu dire à la suite de quelles péripéties il succomba, — pourtant, trois ou quatre secondes après, il était couché à terre, désarmé, vaincu, les deux jambes comme rompues par un coup de bâton, et le bras droit inerte et douloureux jusqu’à le faire crier.

Don Luis ne prit même pas la peine de le ligoter. Un pied sur le grand corps impuissant, il prononça, à demi-courbé :

« Pour le moment, pas de discours. Je t’en réserve un de ma façon que tu jugeras peut-être un peu longuet, mais qui te prouvera que je connais l’aventure depuis A jusqu’à Z, c’est-à-dire beaucoup mieux que toi. Un seul point obscur, et tu vas l’éclaircir. Où est ton fils François d’Hergemont ? » Comme il ne recevait pas de réponse, il répéta :

« Où est François d’Hergemont ? »

Sans doute Vorski estima-t-il que le hasard mettait entre ses mains un atout imprévu, et que la partie n’était peut-être pas perdue, car il garda un silence obstiné.

« Tu refuses de répondre ? demanda don Luis. Une fois… deux fois… trois fois… tu refuses ? Parfait ! »

Il siffla légèrement.

Quatre hommes surgirent d’un coin de la salle, quatre hommes au visage basané, et qui avaient le type des Arabes du Maroc. Comme don Luis, ils portaient des vareuses et des casquettes de matelots, à visière vernie.

Un cinquième personnage arriva presque aussitôt, un officier français mutilé, dont la jambe droite se terminait par un pilon.

« Ah ! c’est vous, Patrice ? fit don Luis. »

Il présenta, selon l’étiquette :

« Le capitaine Patrice Belval[1], mon meilleur ami. M. Vorski, Boche. »

  1. Voir dans « Le Triangle d’or » l’histoire de Patrice et de Coralie.