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une chanson de son pays, de la Savoie… Et jamais je ne l’ai entendue depuis… depuis sa mort… Alors… je veux… je voudrais… »

Elle se tut. La Bretonne la contemplait en silence, d’un air stupéfait, et comme si elle eût été sur le point, elle aussi, de poser des questions.

Véronique répéta :

« Qui vous l’a apprise ?…

— Quelqu’un de là-bas, répondit enfin celle qu’on appelait Madame Honorine.

— De là-bas ?

— Oui, quelqu’un de mon île. »

Véronique dit, avec une sorte d’appréhension :

« L’île aux trente cercueils ?

— C’est un nom qu’on lui donne. Elle s’appelle l’île de Sarek. »

Elles demeurèrent encore à se regarder l’une l’autre, d’un regard où il y avait de la défiance, mêlée à un grand besoin de parler et de savoir. Et, en même temps, elles sentirent toutes les deux qu’elles n’étaient pas ennemies.

Ce fut Véronique qui reprit :

« Excusez-moi, mais, voyez-vous, il y a des choses si déconcertantes… »

La Bretonne hocha la tête d’un air qui approuvait, et Véronique continua :

« Si déconcertantes, si troublantes… Ainsi, savez-vous pourquoi je suis sur cette plage ? Il faut que je vous le dise. Vous seule peut-être pouvez m’expliquer… Voici… Le hasard — c’est un tout petit hasard, et au fond tout découle de lui — m’a fait venir en Bretagne pour la première fois et m’a montré sur la porte d’une vieille cabane abandonnée, au bord de la route, les initiales de ma signature de jeune fille, signature dont je me suis pas servie depuis quatorze ou quinze ans. En continuant la route, j’ai découvert encore plusieurs fois cette inscription, avec un numéro d’ordre chaque fois différent, et c’est ainsi que je suis arrivée ici, sur cette plage de Beg-Meil, et en cette partie de la plage qui était en conséquence le terme d’un trajet prévu et effectué… par qui ? je l’ignore.