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Véronique la vit alors de face. Elle portait un costume breton et sa coiffe était surmontée de deux ailes de velours noir.

« Ah ! balbutia Véronique… la coiffure du dessin… la coiffure des trois femmes en croix !…  »

La Bretonne devait avoir environ quarante ans. Sa figure énergique, brûlée par le soleil et par le froid, était osseuse, taillée durement, mais animée de deux grands yeux noirs intelligents et doux. Une lourde chaîne d’or pendait sur sa poitrine. Son corsage de velours la serrait étroitement.

Elle chantonnait à voix très basse, tout en portant ses paquets et en chargeant le canot, ce qui l’obligeait à s’agenouiller sur une grosse pierre contre laquelle il était amarré. Quand elle eut fini elle regarda l’horizon, où il y avait des nuages noirs. Elle parut cependant ne pas s’en inquiéter, et, défaisant l’amarre, elle continua sa chanson, mais d’une voix plus haute qui permit à Véronique d’entendre les paroles. C’était une mélopée lente, une berceuse pour enfants, qu’elle chantait avec un sourire qui découvrait de belles dents blanches.

Et disait la maman
En berçant son enfant :

« Pleure pas. Quand on pleure,
La bonn’Vierge aussi pleure.

Faut qu’l’enfant chante et rie
Pour qu’la Vierge sourie.

Croise les mains, et prie
La bonn’Vierge Marie. »


Elle n’acheva pas. Véronique était devant elle, le visage contracté et toute pâle.

Interdite, elle murmura :

« Qu’y a-t-il donc ? »

Véronique prononça d’une voix frémissante :

« Cette chanson, qui vous l’a apprise ?… D’où la tenez-vous ?… C’est une chanson que ma mère chantait…