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— Pour sûr que c’était moi ! Qui voulais-tu que ce fût ? Saint Augustin ? À moins que tu n’aies supposé une intervention divine et qu’hier soir, dans l’île, les dieux aient pris soin de t’envoyer un archange vêtu d’une tunique blanche pour te conduire au chêne creux !… Vraiment, tu exagères. »

Vorski serra les poings. Ainsi l’homme vêtu de blanc, qu’il avait poursuivi la veille, n’était autre que cet imposteur !

« Ah ! gronda-t-il, je n’aime pas beaucoup qu’on se paye ma tête !

— Qu’on se paye ta tête ! s’écria le vieillard. Tu en as de bonnes, mon petit. Et qui donc m’a traqué comme une bête fauve, que j’en étais à bout de souffle ? Et qui donc m’a collé deux balles dans ma tunique numéro un ? En voilà un client ! Aussi ça m’apprendra à faire le zèbre !

— Assez, assez, proféra Vorski, exaspéré. Assez ! Pour la dernière fois qu’est-ce que vous me voulez ?

— Je m’esquinte à te le dire. Je suis chargé de te remettre la Pierre-Dieu.

— Chargé par qui ?

— Ah çà ! je n’en sais fichtre rien, par exemple ! J’ai toujours vécu avec cette idée qu’il apparaîtrait un jour à Sarek un nommé Vorski, prince germain, qui abattrait ses trente victimes, et à qui je devais faire un signal convenu lorsque sa trentième victime rendrait le dernier soupir. Alors, comme je suis esclave de la consigne, j’ai préparé mon petit baluchon, j’ai acheté, chez un quincaillier de Brest, deux feux de bengale à trois francs soixante-quinze pièce, plus quelques pétards de choix, et, à l’heure dite, je me perchais dans mon observatoire, un rat de cave à la main, tout prêt. Quand tu as gueulé, du haut de ton arbre : « Elle est morte ! Elle est morte ! » j’ai pensé que c’était le bon moment, j’ai allumé mes bengales, et, avec mes pétards, j’ai secoué les entrailles de la terre. Voilà. Tu es fixé. »

Vorski avança, les poings levés. Ce flux de paroles, ce flegme imperturbable, cette faconde, cette voix