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et les nuages noirs étaient déchirés par les éclairs. On eût dit que toute la nature répondait à l’appel du bandit.

Ses discours grandiloquents et sa mimique de cabotin impressionnaient vivement ses acolytes.

Otto murmura :

« Il me fait peur.

— C’est le rhum, prononça Conrad. Mais tout de même il annonce des choses effrayantes.

— Des choses qui rôdent autour de nous, déclama Vorski dont l’oreille enregistrait les moindres bruits, des choses qui font partie de l’heure présente et qui nous ont été léguées par la suite des siècles. C’est comme un enfantement prodigieux. Et, je vous le dis à tous les deux, vous allez en être les témoins déconcertés. Otto et Conrad, préparez-vous également : la terre va trembler, et à l’endroit même où Vorski doit conquérir la Pierre-Dieu, une colonne de feu s’élèvera vers le ciel.

— Il ne sait plus ce qu’il dit, marmonna Conrad.

— Et le revoilà sur l’échelle, souffla Otto. Tant pis s’il reçoit une flèche ! »

Mais l’exaltation de Vorski ne connaissait plus de bornes. La fin approchait. Exténuée par la souffrance, la victime agonisait.

D’un ton très bas, pour n’être entendu que par elle, puis d’une voix de plus en plus forte, Vorski reprit :

« Véronique… Véronique… tu achèves ta mission… tu arrives au bout de la montée… Gloire à toi ! Une part te revient dans mon triomphe… Gloire à toi ! Écoute ? Tu entends déjà, n’est-ce pas ? Le canon du tonnerre approche. Mes ennemis sont vaincus, tu n’as plus de secours à espérer ! Voici le dernier battement de ton cœur… Voici ta dernière plainte… Éli, Éli, lamma sabacthani !… Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonnée ? »

Il riait comme un fou, comme on rit de la plus folâtre aventure. Puis il y eut un silence. Les grondements de tonnerre s’interrompirent. Vorski se pencha et, soudain, il vociféra, du haut de son échelle :

« Éli, Éli, lamma sabacthani ! les dieux l’ont aban-