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Écoute-moi, Conrad. Plutôt que de la délivrer, j’aimerais mieux… oui, j’aimerais mieux prendre sa place. Abandonner mon œuvre ? Ah ! c’est que tu ne sais pas quelle est cette œuvre et quel est mon but ! Sans quoi… »

Il but de nouveau.

« Excellente eau-de-vie, mais, pour me remettre le cœur d’aplomb, je préfèrerais du rhum. Tu n’en as pas, Conrad ?

— Le reste d’un petit flacon…

— Donne. »

Ils avaient voilé la lanterne de peur d’être vus, et ils s’assirent tout contre l’arbre, résolus au silence. Mais cette nouvelle flambée d’alcool leur montait au cerveau. Vorski, très excité, se mit à pérorer.

« Des explications, vous n’en avez pas besoin. Celle qui meurt là, inutile que vous connaissiez son nom. Qu’il vous suffise de savoir que c’est la quatrième des femmes qui devaient mourir en croix, et que le destin l’avait spécialement désignée, elle. Mais il y a une chose que je puis vous dire, à l’heure où le triomphe de Vorski va éclater à vos yeux. J’ai même quelque orgueil à vous l’annoncer, car si tous les événements ont jusqu’ici dépendu de moi et de ma volonté, celui qui va se produire dépend des volontés les plus puissantes, des volontés travaillant pour Vorski ! »

Il redit à plusieurs reprises, comme si ce nom flattait ses lèvres :

« Pour Vorski !… pour Vorski !… »

Et il se releva, l’exubérance de ses pensées l’obligeant à marcher et à gesticuler.

« Vorski, fils de roi, Vorski élu du destin, prépare-toi. Voici ton heure. Ou bien tu n’es que le dernier des aventuriers et le plus criminel de tous les grands criminels que le sang des autres ait souillés, ou bien tu es vraiment le prophète illuminé que les dieux couronnent de gloire. Surhomme ou bandit. Voici l’arrêt du destin. Les battements de cœur de la victime sacrée qu’on immole aux dieux marquent les secondes suprêmes. Écoutez-les, vous deux qui êtes là. »

Escaladant l’échelle, il cherchait à les percevoir, ces