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rut : la silhouette courut également. Et, le plus étrange, c’est qu’on n’entendait aucun bruit de feuilles remuées ou de sol foulé par la course de ce mystérieux personnage.

« Sacrédieu ! jura Vorski, il se moque de nous. Si on tirait dessus, Conrad ?

— Trop loin. Les balles ne l’atteindraient pas.

— Cependant, quoi ! nous n’allons pourtant pas… »

L’inconnu les conduisit vers la pointe de l’île, puis descendit jusqu’à l’issue du tunnel, passa près du Prieuré, longea la falaise occidentale, et atteignit la passerelle dont quelques planches fumaient encore. Puis il bifurqua, repassa de l’autre côté de la maison et monta la pelouse.

De temps à autre, le chien aboyait joyeusement.

Vorski ne dérageait pas. Quels que fussent ses efforts, il ne gagnait pas un pouce de terrain, et la poursuite durait depuis un quart d’heure. Il finit par invectiver l’ennemi.

« Arrête donc, si tu n’es pas un lâche !… Qu’est-ce que tu veux ? Nous attirer dans un piège ? Pourquoi faire ?… Est-ce la dame que tu veux sauver ? Dans l’état où elle est, ça n’en vaut pas la peine. Ah ! bougre de coquin, si je pouvais te tenir ! » Soudain Conrad le saisit par un pan de son vêtement.

« Qu’y a-t-il Conrad ?

— Regardez. On dirait qu’il ne bouge plus. »

De fait, pour la première fois, la silhouette blanche se distinguait, de plus en plus précise dans les ténèbres, et l’on pouvait apercevoir, entre les feuilles d’un taillis, l’attitude qu’elle gardait à la minute actuelle, les bras un peu ouverts, le dos voûté, les jambes ployées et comme croisées sur le sol.

« Il a dû tomber, » déclara Conrad.

Vorski, s’étant avancé, cria :

« Dois-je tirer, canaille ? Je te tiens au bout de mon canon. Lève les bras ou je fais feu. »

Aucun mouvement.

« Tant pis pour toi ! Si tu fais la mauvaise tête, tu y passes. Je compte trois et je tire. »

Il marcha jusqu’à vingt mètres de la silhouette et compta, le bras tendu :