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— Oui, dit-elle avec la même fermeté.

— Et tu veux que ton fils meure ?

— Oui, » dit-elle.

Il se frotta les mains.

« Parfait, nous sommes d’accord, et le temps des paroles insignifiantes est passé. Restent les vraies paroles, celles qui comptent, car tu admets bien que jusqu’ici tout ce que j’ai dit n’est que du verbiage, hein ? de même que toute la première partie de l’aventure, dont tu fus témoin à Sarek, n’est que jeu d’enfant. Le véritable drame commence, puisque tu y es mêlée par le cœur et par la chair, et c’est le plus terrifiant, ma jolie. Tes beaux yeux ont pleuré, mais ce sont des larmes de sang qu’on leur demande, pauvre chérie. Que veux-tu ? Encore une fois, Vorski n’est pas cruel. Il obéit, et le destin s’acharne après toi. Tes larmes ? billevesées ! Il faut que tu pleures mille lois plus qu’une autre. Ta mort ? baliverne ! Il faut que tu meures mille morts avant de mourir pour de bon. Il faut que ton pauvre cœur saigne comme jamais n’a saigné le plus pauvre cœur de femme et de mère. Es-tu prête, Véronique ? Tu vas entendre vraiment des paroles cruelles que suivront peut-être des paroles plus cruelles. Ah ! le destin ne te gâte pas, ma jolie… »

Un second verre de vin qu’il vida de la même façon gloutonne, puis il s’assit contre elle, et, se baissant, lui dit presque à l’oreille :

« Écoute, chérie, j’ai une petite confession à te faire. Avant de te rencontrer dans la vie, j’étais marié.. Oh ! ne te fâche pas ! il y a pour une épouse des catastrophes plus grandes et, pour un mari, de plus grands crimes que la bigamie. Or, de cette première épouse, j’ai eu un fils… un fils que tu connais, je crois, pour avoir échangé avec lui quelques propos aimables dans le souterrain des cellules… Un vrai chenapan, entre nous, que cet excellent Raynold, un garnement de la pire espèce, en qui j’ai l’orgueil de retrouver, portés au maximum, quelques-uns de mes meilleurs instincts et quelques-unes de mes qualités maîtresses. C’est un second moi-même, mais qui me dépasse déjà, et qui par moments me fait peur.