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seras l’instrument de la Providence. Tu seras le tranchant de la lame, la pointe du poignard, la balle du fusil, le nœud de la corde. Fléau de Dieu ! Fléau de de Dieu ! ton nom est inscrit en toutes lettres sur le livre du temps. Il flamboie parmi les astres qui présidèrent à ta naissance. Fléau de Dieu ! Fléau de Dieu !… » Et vous espérez que mes yeux se mouilleront de larmes ? Allons donc ! Est-ce que le bourreau pleure ? Ce sont les faibles qui pleurent, ceux qui redoutent d’être châtiés et que leurs crimes ne se retournent contre eux. Mais moi, moi ! Vos ancêtres ne craignaient qu’une chose, c’est que le ciel ne leur tombât sur la tête. Qu’ai-je à craindre, moi ? Je suis le complice de Dieu ! Il m’a choisi entre tous. C’est Dieu qui m’a inspiré, le Dieu de Germanie, le vieux Dieu allemand, pour qui le bien et le mal ne comptent pas quand il s’agit de la grandeur de ses fils. L’esprit du mal est en moi. J’aime le mal et je veux le mal. Tu mourras donc, Véronique, et je rirai en te voyant sur le poteau de supplice… »

Il riait déjà. Il marchait à grands pas qui frappaient le sol avec bruit. Il levait les bras au plafond, et Véronique, toute frémissante d’angoisse, discernait dans ses yeux striés de rouge l’égarement de la folie.

Il fit encore quelques pas, puis s’avança vers elle et, d’une voix contenue, où grondait la menace :

« À genoux, Véronique, et implorez mon amour. Lui seul peut vous sauver. Vorski ne connaît ni la pitié ni la crainte. Mais il vous aime, et son amour ne reculera devant rien. Profitez-en, Véronique. Faites appel au passé. Redevenez l’enfant d’autrefois et c’est moi peut-être un jour qui me traînerai à vos genoux. Véronique, ne me repoussez pas… on ne repousse pas un homme comme moi… On ne défie pas celui qui aime… comme je t’aime, Véronique, comme je t’aime…  »

Elle étouffa un cri. Elle sentait sur ses bras nus les mains abhorrées. Elle voulut s’en délivrer, mais, plus fort qu’elle, il ne lâchait pas prise et continuait, la voix haletante :

« Ne me repousse pas… c’est absurde… c’est fou… Tu sais bien que je suis capable de tout… Alors ?…