je les aurais acquises facilement sous votre influence, puisque je vous aimais à la folie. Il y avait en vous une pureté qui me ravissait, un charme et une naïveté que je n’avais rencontrés chez aucune femme. Il eût suffi d’un peu de patience de votre part, d’un effort de douceur, pour me transformer. Malheureusement, dès la première heure, après des fiançailles assez tristes où vous ne pensiez qu’au chagrin et à la rancune de votre père, dès la première heure de notre mariage, il y eut entre nous un désaccord profond, irrémédiable. Vous aviez accepté malgré vous le fiancé qui s’était imposé. Vous n’avez eu pour le mari que haine et répulsion. Ce sont là des choses qu’un homme comme Vorski ne pardonne pas. Assez de femmes et des plus hautaines m’avaient donné à moi-même la preuve de ma parfaite délicatesse, pour que j’aie le droit de ne m’adresser aucun reproche. Que la petite bourgeoise que vous étiez s’offusquât, tant pis. Vorski est de ceux qui agissent selon leurs instincts et leurs passions. Ces instincts et ces passions vous déplaisaient ? À votre idée, madame. J’étais libre, je repris ma vie. Seulement… »
Il s’interrompit quelques secondes, puis acheva :
« Seulement, je vous aimais. Et lorsque, un an plus tard, les événements se précipitèrent, lorsque la perte de votre fils vous eut jetée dans un couvent, moi, je restai avec cet amour inassouvi, brillant et torturant. Ce que fut mon existence, vous pouvez le deviner : une suite de débauches et d’aventures violentes où j’essayais vainement de vous oublier, et puis des coups d’espoir subit, des pistes que l’on m’indiquait et sur lesquelles je m’élançais à corps perdu, pour retomber toujours au découragement et à la solitude. C’est ainsi que je retrouvai votre père et votre fils. C’est ainsi que je connus leur retraite ici, que je les surveillai, que je les épiai, moi-même ou par l’intermédiaire de personnes qui m’étaient toutes dévouées. Je comptais de la sorte arriver jusqu’à vous, but unique de mes efforts et raison suprême de tous mes actes, quand la guerre fut déclarée. Huit jours après, n’ayant pu franchir la frontière, j’étais emprisonné dans un camp de concentration… »