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Il répliqua :

« Notre fils m’est sacré, madame. Il n’a rien à craindre de son père.

— Je veux le voir. »

Il leva la main en signe de serment.

« Vous le verrez, je vous le jure.

— Mort, peut-être ! fit-elle d’une voix sourde.

— Vivant comme vous et moi, madame. »

Il y eut un nouveau silence. Visiblement, Vorski cherchait ses phrases et préparait le discours par lequel devait commencer entre eux l’implacable combat.

C’était un homme de stature athlétique, puissant de torse, les jambes un peu arquées, le cou énorme et gonflé par les tendons des muscles, avec une tête trop petite sur laquelle étaient plaqués deux bandeaux de cheveux blonds. Ce qui, autrefois, donnait chez lui l’impression d’une force brutale où il y avait encore une certaine distinction, était devenu avec l’âge, l’attitude massive et vulgaire du lutteur de profession qui se carre sur l’estrade foraine. Le charme inquiétant auquel les femmes se prenaient jadis s’était dissipé, et il ne restait qu’une physionomie âpre et cruelle dont il essayait de corriger la dureté par un sourire impassible.

Il décroisa les bras, approcha un fauteuil, et, s’inclinant devant Véronique :

« La conversation que nous allons avoir, madame, sera longue et quelquefois pénible. Ne voulez-vous pas vous asseoir ? »

Il attendit un instant, et, ne recevant pas de réponse, sans se laisser démonter, il reprit :

« Il y a, d’ailleurs, tout ce qu’il faut sur ce guéridon, pour se restaurer, et un biscuit, un doigt de vieux vin, un verre de champagne ne vous seraient peut-être pas inutiles…  »

Il affectait une politesse exagérée, cette politesse toute germaine des demi-barbares qui veulent prouver qu’aucune des subtilités de la civilisation ne leur est inconnue, et qu’ils sont initiés à tous les raffinements de la courtoisie, même à l’égard d’une femme que le droit de conquête leur permettrait de traiter de façon plus cava-