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Cela ne dura pas plus de deux ou trois minutes, d’ailleurs, au bout desquelles son esprit redevint lucide et vaillant.

Elle se releva, retourna vers la cabane, saisit la feuille de papier cartonné et, certes avec une angoisse indicible, mais cette fois avec des yeux qui voyaient et un cerveau qui comprenait, elle regarda.

Les détails d’abord, ceux qui semblaient insignifiants, ou du moins dont la signification ne lui apparaissaient pas. À gauche, il y avait une colonne étroite d’une quinzaine de lignes, non pas écrites, mais composées de lettres non formées, de jambages toujours les mêmes, et qui n’avaient évidemment qu’un but de remplissage.

Cependant, à divers endroits, quelques mots étaient visibles.

Et Véronique put lire : « Quatre femmes en croix » ; plus loin : « Trente cercueils… », et, pour finir, toute la dernière ligne ainsi rédigée :

« La Pierre-Dieu qui donne mort ou vie. »

Toute cette colonne était entourée d’un cadre tracé à l’aide de deux lignes fort régulières, l’une à l’encre noire, l’autre à l’encre rouge, et il y avait, toujours en rouge, au-dessus la représentation de deux faucilles enlacées par une branche de gui, au-dessous la silhouette d’un cercueil.

La partie droite, de beaucoup la plus importante, était remplie par le dessin, dessin à la sanguine, qui donnait à toute la page, avec sa colonne d’explications adjacente, l’apparence d’une feuille, ou plutôt d’une copie de feuille de livre, — quelque grand livre d’images anciennes, où les sujets seraient traités un peu à la manière primitive avec une entière ignorance des règles.

Et c’étaient quatre femmes en croix.

Trois d’entre elles s’enfonçaient à l’horizon, de plus en plus petites, vêtues de costumes bretons, leurs têtes surmontées de coiffures galamment bretonnes, mais d’une mode spéciale qui indiquait un usage local, et qui consistait surtout dans un large nœud noir dont les deux ailes se dépliaient comme les nœuds des Alsaciennes. Et, au milieu de la page, il y avait la chose effrayante dont