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comprenant pas la menace, s’élança et saisit le bras de l’enfant. Trop tard. La tête disparut. Les crampons de l’échelle sortirent du rebord. On entendit un grand bruit, puis tout en bas le bruit d’une chute dans l’eau.

Aussitôt Véronique courut à la fenêtre. L’échelle flottait sur la partie que l’on pouvait apercevoir du petit lac, immobile dans son cadre de récifs. Rien n’indiquait l’endroit où Stéphane était tombé. Aucun remous. Aucune ride.

Elle appela.

« Stéphane !… Stéphane !… »

Nulle réponse. Le grand silence de l’espace, où la brise se tait, où la mer s’endort.

« Ah ! misérable, qu’est-ce que tu as fait ? articula Véronique.

— Pleure pas, la dame, dit-il… le sieur Stéphane élevait ton fils comme une mazette. Allons, il faut rire. Si on s’embrassait ? Veux-tu, la dame à papa ? Voyons, quoi, tu fais une tête ! Tu me détestes donc bien ? »

Il s’approchait, les bras tendus. Vivement elle braqua sur lui son revolver.

« Va-t’en… va-t’en, ou je te tue comme une bête enragée. Va-t’en… »

La figure de l’enfant se fit encore plus sauvage. Il recula pas à pas, en grinçant :

« Ah ! tu me paieras ça, jolie dame ! Comment ! Je vais pour t’embrasser… je suis plein de bons sentiments… et tu veux faire le coup de feu ? Tu me le paieras avec du sang… du beau sang rouge qui coule… du sang… du sang… »

On eût dit que ce mot lui était agréable à prononcer. Il le répéta plusieurs fois, puis, de nouveau, lança un éclat de rire mauvais, et il s’enfuit par le tunnel qui conduisait au Prieuré, en criant :

« Le sang de ton fils, maman Véronique… le sang de ton François bien-aimé… »