Page:Leblanc - L’Île aux trente cercueils.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comme un déclenchement brusque, un choc violent, et tout le guichet fut recouvert. Il devenait impossible de se tenir debout.

Ils s’étendirent dans le sens de l’inclinaison, en s’arc-boutant des pieds sur la bande de granit.

Deux secousses encore se produisirent, amenant chaque fois une poussée plus forte de l’extrémité supérieure. Le haut de la paroi du fond fut atteint, et l’énorme machine se rabattit peu à peu, en suivant la voûte vers l’ouverture de la grotte. Très nettement, on pouvait voir qu’elle s’encastrerait de façon exacte dans cette ouverture et qu’elle la fermerait hermétiquement, à la manière d’un pont-levis. Le roc avait été taillé pour que la funèbre besogne s’accomplît sans laisser de place au hasard.

Ils ne prononçaient pas une parole. Les mains jointes, ils étaient résignés. Leur mort prenait le caractère d’un événement décrété par le destin. Dans les profondeurs des siècles, la machine avait été construite, puis reconstruite sans doute, réparée, mise au point, et, le long des siècles, elle avait, mue par d’invisibles bourreaux, donné la mort à des coupables, à des criminels, à des innocents, à des hommes d’Armorique, de Gaule, de France ou de race étrangère. Prisonniers de guerre, moines sacrilèges, paysans persécutés, chouans, bleus, soldats de la Révolution, un à un, le monstre les avait jetés à l’abîme.

Aujourd’hui, c’était leur tour.

Ils n’avaient même pas cet amer soulagement que l’on trouve dans la haine et dans la fureur. Qui haïr ? Ils mouraient au milieu des ténèbres les plus épaisses, sans qu’un visage ennemi se dégageât de cette nuit implacable. Ils mouraient pour l’accomplissement d’une œuvre qu’ils ignoraient, pour faire nombre, aurait-on pu dire, et pour que fussent exécutés d’absurdes prophéties, des volontés imbéciles, comme les ordres donnés par les dieux barbares et formulés par des prêtres fanatiques. Ils étaient, chose inouïe, les victimes de quelque sacrifice expiatoire, de quelque holocauste offert aux divinités d’une religion sanguinaire !