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– Eh bien, qu’on commence par cette femme-là. Et tout de suite. Ici même.

L’espionne tressauta. Sous l’effort d’une grimace, elle réussit à déplacer son bâillon, et on l’entendit qui implorait sa grâce dans un flux de paroles et de gémissements.

– Partons, fit le général en chef.

Il sentit que deux mains brûlantes pressaient les siennes. Elisabeth, inclinée vers lui, le suppliait en pleurant.

Paul présenta sa femme. Le général dit avec douceur :

– Je vois que vous avez pitié, madame, malgré tout ce qu’on vous a fait. Il ne faut pas avoir pitié, madame. Oui, évidemment, c’est la pitié que l’on a pour ceux qui vont mourir. Mais il ne faut pas en avoir pour ceux-là ni pour ceux de cette race. Ils se sont mis en dehors de l’humanité et jamais nous ne devrons l’oublier. Quand vous serez mère, madame, vous apprendrez à vos enfants un sentiment que la France ignorait et qui sera une sauvegarde dans l’avenir : la haine des Barbares.

Il lui prit le bras d’un geste amical et l’entraîna vers la porte.

– Permettez-moi de vous conduire. Vous venez, Delroze ? Vous devez avoir besoin de repos après une telle journée.

Ils sortirent.

L’espionne hurla :

– Grâce ! Grâce !

Déjà les soldats se rangeaient le long du mur opposé.

Le comte, Paul et Bernard demeurèrent un instant. Elle avait tué la femme du comte d’Andeville. Elle avait tué la mère de Bernard et le père de Paul. Elle avait torturé Elisabeth. Et, bien que leur âme fût troublée, ils éprouvaient ce grand calme que donne le sentiment de la justice. Aucune haine ne les agitait. Aucune idée de vengeance ne palpitait en eux.

Pour la soutenir, les gendarmes avaient attaché l’espionne à un clou par la ceinture. Ils s’écartèrent.

Paul lui dit :

– Un des soldats qui sont là est prêtre. Si vous avez besoin de son assistance…

Mais elle ne comprenait pas. Elle n’écoutait pas. Elle voyait seulement ce qui se passait et ce qui allait se passer, et elle bredouillait interminablement :

– Grâce !… Grâce !.., Grâce !…

Ils partirent tous les trois. Lorsqu’ils arrivèrent au haut de l’escalier, un commandement leur parvint :

– En joue !…

Afin de ne pas entendre, Paul referma vivement sur lui la porte du vestibule et la porte de la rue. Dehors c’était le grand air, le bon air pur que l’on respire à pleins poumons. Les troupes circulaient en chantant. Ils apprirent que le combat était terminé et nos positions assurées définitivement. Là aussi, la comtesse Hermine avait échoué…

Quelques jours plus tard, au château d’Ornequin, le sous-lieutenant Bernard d’Andeville, que douze hommes suivaient, entrait dans une sorte de casemate, saine et bien chauffée, qui servait de prison au prince Conrad.

La table portait des bouteilles et les vestiges d’un repas abondant.

À côté, sur son lit, le prince dormait. Bernard lui frappa sur l’épaule.

– Ayez du courage, monseigneur. Le prisonnier se dressa, terrifié.

– Hein ! quoi ! qu’est-ce que vous dites ?

– Ayez du courage, monseigneur. L’heure est venue.

Il balbutia, pâle comme un mort :

– Du courage ?… Du courage ?… Je ne comprends pas… Mon Dieu ! mon Dieu ! est-ce possible !…

Bernard formula :

– Tout est toujours possible, et ce qui doit arriver arrive toujours, surtout les catastrophes.

Et il proposa :

– Un verre de rhum pour vous remettre, monseigneur ?… Une cigarette ?…

– Mon Dieu ! mon Dieu ! répéta le prince, qui tremblait comme une feuille.

Il accepta machinalement la cigarette que lui tendait Bernard. Mais elle lui tomba des lèvres aux premières bouffées.

– Mon Dieu !… Mon Dieu !…, ne cessait-il de bredouiller.

Sa détresse redoubla lorsqu’il aperçut les douze hommes qui attendaient, le fusil sous le bras. Il eut ce regard fou du condamné qui, dans la lueur pâle de l’aube, devine la silhouette de la guillotine. On dut le porter jusqu’à la terrasse, devant un pan de mur.

– Asseyez-vous, monseigneur, lui dit Bernard.

Le malheureux eût été d’ailleurs incapable de se tenir debout. Il s’affaissa sur une pierre.

Les douze soldats prirent position en face de lui. Il courba la tête pour ne pas les voir et tout son corps était agité comme le corps d’un pantin dont on tire les ficelles. Un moment se passa. Bernard lui demanda sur un ton de bonne amitié :

– Aimez-vous mieux de face ou de dos ?

Et comme le prince, anéanti, ne répondait pas, il s’écria :

– Eh bien, quoi, monseigneur, vous avez l’air un peu souffrant ? Voyons, il faut prendre sur soi. Vous avez tout le temps. Le lieutenant Paul Delroze ne sera pas là avant dix minutes. Il veut absolument assister… comment dirais-je ?… assister à cette petite cérémonie. Et vraiment, il vous trouvera mauvaise mine. Vous êtes vert, monseigneur.

Toujours avec beaucoup d’intérêt, et comme s’il eût cherché à le distraire, il lui dit :

– Qu’est-ce que je pourrais bien vous raconter ? La mort de votre amie la comtesse Hermine ? Ah ! ah ! il me semble que cela vous fait dresser l’oreille ! Eh bien, oui, figurez-vous que cette digne personne a été exécutée l’autre jour à Soissons. Et vraiment elle