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remuât de sa place. Défaillante et brisée par l’émotion, Elisabeth pleurait. Bernard, que les sanglots de sa sœur horripilaient, avait l’impression d’un de ces cauchemars où l’on assiste aux spectacles les plus affreux sans avoir la force ni la puissance de réagir.

Et puis il arriva une chose que tout le monde, sauf lui et sauf Elisabeth, eut l’air de trouver très naturelle. Un bruit grinça du côté des vêtements. La porte invisible roula sur ses gonds. Les vêtements s’agitèrent et livrèrent passage à une forme humaine qui fut jetée sur le sol comme un paquet.

Bernard d’Andeville poussa une exclamation de joie. Elisabeth regardait et riait à travers ses larmes.

C’était la comtesse Hermine, ficelée et bâillonnée.

À sa suite trois gendarmes entrèrent.

– Voilà l’objet, plaisanta l’un d’eux d’une bonne grosse voix. Ah ! c’est qu’on commençait à se faire des cheveux, mon lieutenant, et on se demandait si vous aviez deviné juste et si c’était bien là l’issue par où elle décamperait. Mais cré bon sang, mon lieutenant, la bougresse nous a donné du fil à retordre. Quelle furie ! Elle mordait comme une bête puante. Et ce qu’elle gueulait ! Ah ! la chienne !…

Et, s’adressant aux soldats chez qui ses paroles provoquaient une vive hilarité :

– Camarades, il ne manquait plus que ce gibier-là à notre chasse de tantôt. Mais, vrai, c’est une belle pièce, et le lieutenant Delroze avait bien relevé sa piste. Le tableau est au complet maintenant. Toute une bande de Boches en une journée ! Eh ! mon lieutenant, que faites-vous ? Attention ! La bête a des crocs !

Paul s’était penché sur l’espionne. Il lui desserra son bâillon, qui paraissait la faire souffrir. Aussitôt elle s’efforça de crier, mais c’étaient des syllabes étouffées, incohérentes, où Paul cependant discerna quelques mots contre lesquels il protesta.

– Non, dit-il, pas même cela, pas même cette satisfaction. Le coup est raté… Et c’est là le châtiment le plus terrible, n’est-ce pas ?… Mourir sans avoir fait le mal qu’on voulait faire. Et quel mal !

Il se releva et s’approcha du groupe des officiers.

Ils causaient tous les trois, leur mission de juges étant finie, et l’un d’eux dit à Paul :

– Bien joué, Delroze. Tous mes compliments.

– Je vous remercie, mon général. J’aurais pu éviter cette tentative d’évasion, mais j’ai voulu accumuler le plus de preuves possible contre cette femme, et non pas seulement l’accuser des crimes qu’elle a commis, mais vous la montrer en pleine action et en plein crime.

Le général observa :

– Eh ! c’est qu’elle n’y va pas de main morte, la gueuse ! Sans vous, Delroze, la villa sautait avec tous mes collaborateurs, et moi par-dessus le marché ! Mais, dites donc, cette explosion que nous avons entendue ?…

– Une construction inutile, mon général, construction déjà démolie par les obus, d’ailleurs, et dont le commandement de la place voulait se débarrasser. Nous n’avons eu qu’à faire dévier le fil électrique qui part d’ici.

– Ainsi, toute la bande est prise ?

– Oui, mon général, grâce à l’un des complices, sur qui j’ai eu la chance de mettre la main tantôt, et qui m’a fourni les indications nécessaires pour pénétrer ici, après m’avoir révélé en détail le plan de la comtesse Hermine et le nom de tous les complices. Ce soir, à dix heures, celui-là devait, si vous étiez en train de travailler dans votre villa, en avertir la comtesse au moyen de cette sonnerie. L’appel a eu lieu, mais sur mon ordre et donné par un de nos soldats.

– Bravo, et encore une fois merci, Delroze.

Le général s’avança dans le cercle de lumière. Il était grand et fort. Une épaisse moustache toute blanche lui couvrait la lèvre.

Il y eut parmi les assistants un mouvement de surprise. Bernard d’Andeville et sa sœur s’étaient rapprochés. Les soldats prirent la position militaire. Ils avaient reconnu le général en chef. Le commandant d’armée et le commandant de corps d’armée l’accompagnaient.

En face d’eux, les gendarmes avaient poussé l’espionne contre le mur. Ils lui délièrent les jambes, mais ils durent la soutenir, car ses jambes flageolaient sous elle.

Et, plus encore que l’épouvante, c’était une stupeur indicible que son visage exprimait. De ses yeux agrandis, elle contemplait fixement celui qu’elle avait voulu tuer, celui qu’elle croyait mort, et qui vivait, et qui prononcerait contre elle l’inévitable sentence de mort.

Paul répéta :

– Mourir sans avoir fait le mal qu’on voulait faire, c’est cela qui est terrible, n’est-ce pas ?

Le général en chef vivait ! L’affreux et formidable complot avait avorté ! Il vivait, et tous ses collaborateurs vivaient aussi, et tous les ennemis de l’espionne vivaient également, Paul Delroze, Stéphane d’Andeville, Bernard, Elisabeth… ceux qu’elle avait poursuivis de sa haine inlassable, ils étaient là ! Elle allait mourir avec cette vision, atroce pour elle, de ses ennemis heureux et réunis.

Et surtout elle allait mourir avec cette idée que tout était perdu. Son grand rêve s’écroulait.

Avec la comtesse Hermine disparaissait l’âme même des Hohenzollern. Et tout cela se voyait dans ses yeux hagards, où passaient des lueurs de démence.

Le général dit à l’un de ses compagnons :

– Vous avez donné les ordres ? La bande va être fusillée ?

– Oui, mon général, dès ce soir.