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vie elle-même, c’est tout ce qui vous accuse.

« Tenez, il est un point sur lequel Paul Delroze n’a pas fait toute la lumière. Il n’a pas compris pourquoi, lorsque vous assassiniez son père, pourquoi vous portiez des vêtements semblables à ceux de ma femme. Pourquoi ? mais pour cette abominable raison que, déjà, à cette époque, la mort de ma femme était résolue, et que, déjà, vous vouliez créer dans l’esprit de ceux qui pourraient vous surprendre une confusion entre la comtesse d’Andeville et vous. La preuve est irrécusable. Ma femme vous gênait : vous l’avez tuée. Vous aviez deviné qu’une fois ma femme morte je ne reviendrais plus à Ornequin, et vous avez tué ma femme!... Paul Delroze, tu as annoncé six crimes. Voilà le septième, l’assassinat de la comtesse d’Andeville ! »

Le comte avait levé ses deux poings et les tenait devant la figure de la comtesse Hermine. Il tremblait de rage, et l’on eût dit qu’il allait frapper.

Elle, pourtant, demeurait impassible. Contre cette nouvelle accusation, elle n’eut pas un mot de révolte. Il semblait que tout lui fût devenu indifférent, aussi bien cette charge imprévue que toutes celles qui l’accablaient. Tous les périls s’écartaient d’elle. Ce qu’elle avait à répondre ne l’obsédait plus. Sa pensée était ailleurs. Elle écoutait autre chose que ces paroles. Elle voyait autre chose que ce spectacle, et, comme l’avait remarqué Bernard, on eût dit qu’elle se préoccupait plus de ce qui se passait dehors que de la situation, cependant si effrayante, où elle se trouvait.

Mais pourquoi ? Qu’espérait-elle ?

Une troisième fois elle consulta sa montre. Une minute s’écoula. Une autre minute encore.

Puis, quelque part dans la cave, à la partie supérieure, il y eut un bruit, une sorte de déclenchement.

La comtesse se redressa. Et, de toute son attention, elle écouta, avec une expression si ardente que personne ne troubla le silence énorme. Instinctivement Paul Delroze et M. d’Andeville avaient reculé jusqu’à la table. La comtesse Hermine écoutait… Elle écoutait…

Et soudain, au-dessus d’elle, dans l’épaisseur des voûtes, une sonnerie vibra. Quelques secondes seulement… Quatre appels égaux… Et ce fut tout.


IX

Deux exécutions


Plus encore peut-être que par la vibration inexplicable de cette sonnerie, le coup de théâtre fut produit par le soubresaut de triomphe qui secoua la comtesse Hermine. Elle poussa un cri de joie sauvage, puis éclata de rire. Son visage se transforma. Plus d’inquiétude, plus de cette tension où l’on sent la pensée qui cherche et qui s’effare, mais de l’insolence, de la certitude, du mépris, un orgueil démesuré.

– Imbéciles ! ricana-t-elle… Imbéciles !… Alors vous avez cru ? Non, faut-il que les Français soient naïfs !… Vous avez cru que, moi, vous me prendriez ainsi, dans une souricière ? Moi ! Moi !…

Les paroles ne pouvaient plus sortir de sa bouche, trop nombreuses et trop pressées. Elle se raidit, ferma les yeux un instant dans un grand effort de volonté, puis, allongeant le bras droit et poussant un fauteuil, découvrit une petite plaque d’acajou sur laquelle il y avait une manette de cuivre qu’elle saisit à tâtons, les yeux toujours dirigés vers Paul, vers le comte d’Andeville, vers son fils, vers les trois officiers.

Et elle scanda d’une voix sèche, coupante :

– Qu’ai-je à craindre de vous maintenant ? La comtesse Hermine de Hohenzollern ? Vous voulez savoir si c’est moi ? Oui, c’est bien moi. Je ne le nie pas… Je le proclame même… Tous les actes que vous appelez stupidement des crimes, oui, je les ai accomplis… C’était mon devoir envers mon empereur… Espionne ? non pas… Allemande, tout simplement. Et ce que fait une Allemande pour sa patrie est justement fait.

« Et puis… et puis assez de paroles niaises et de bavardages sur le passé. Le présent seul et l’avenir importent. Et, du présent comme de l’avenir me voilà redevenue maîtresse. Mais oui, mais oui, grâce à vous, je reprends la direction des événements, et nous allons rire. Voulez-vous savoir une chose ? Tout ce qui vient de se produire ici depuis quelques jours, c’est moi qui l’ai préparé. Les ponts que la rivière a enlevés, c’est sur mes ordres qu’ils avaient été sapés à leur base… Pourquoi ? Pour le piètre résultat de vous faire reculer ? Certes, il nous fallait cela d’abord, nous avions besoin d’annoncer une victoire… Victoire ou non, elle sera annoncée, et elle aura son effet, je vous en réponds. Mais ce que je voulais, c’était mieux. Et j’ai réussi. »

Elle s’arrêta, puis reprit d’un ton plus sourd, le buste penché vers ceux qui l’écoutaient :

– Le recul, le désordre parmi vos troupes, la nécessité de faire obstacle à l’avance et d’amener des renforts, c’était de toute évidence l’obligation pour votre général en chef de venir ici et de s’y concerter avec ses généraux. Depuis des mois, je le guette, celui-là. Impossible de l’approcher. Impossible d’exécuter mon plan. Alors que faire ? Que faire, mais tout bonnement le faire venir à moi, puisque je ne pouvais aller à lui… Le faire venir et l’attirer dans un endroit choisi par moi, où j’aurais pris toutes mes dispositions. Or, il est venu. Mes dispositions sont prises. Et je n’ai plus qu’à vouloir… Je n’ai plus qu’à vouloir ! Il est ici, dans une des chambres de la petite villa qu’il habite chaque fois qu’il vient à Soissons. Il y est.