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Trois fois elle recommença et les trois fois il en fut de même.

– Inutile d’insister, ricana Paul. L’arme a été déchargée.

La comtesse eut un cri de rage, ouvrit le tiroir de la table, et, prenant un autre revolver, tira coup sur coup quatre fois. Aucune détonation.

– Rien à faire, dit Paul en riant, celui-là aussi a été déchargé, et pareillement celui qui est dans le second tiroir, et pareillement toutes les armes de la maison.

Et, comme elle regardait avec stupeur, sans comprendre, atterrée de son impuissance, il salua et, se présentant, il prononça simplement ces deux mots qui voulaient tout dire :

– Paul Delroze.


VIII

Hohenzollern


Sans en avoir les dimensions, la cave offrait l’aspect de ces grandes salles voûtées que l’on trouve en Champagne. Des murs propres, un sol égal où couraient des chemins de briques, une atmosphère tiède, une alcôve réservée entre deux tonneaux et fermée par un rideau, des sièges, des meubles, des carpettes, tout cela formait, en même temps qu’une habitation confortable, à l’abri des obus, un refuge certain pour quiconque redoutait les visites indiscrètes.

Paul se rappela les ruines du vieux phare au bord de l’Yser et le tunnel d’Ornequin à Ebrecourt. Ainsi, la lutte se continuait sous terre. Guerre de tranchées et guerre de caves, guerre d’espionnage et guerre de ruse, c’étaient toujours les mêmes procédés sournois, honteux, équivoques, criminels.

Paul avait éteint sa lanterne, de sorte que la salle n’était plus que vaguement éclairée par une lampe à pétrole suspendue à la voûte, et dont la lueur, que rabattait un abat-jour opaque, dessinait un cercle blanc au milieu duquel ils se trouvaient tous deux seuls.

Elisabeth et Bernard restaient en arrière, dans l’ombre.

Le sergent et ses hommes n’avaient pas paru. Mais on entendait le bruit de leur présence au bas de l’escalier.

La comtesse ne bougeait pas. Elle était vêtue comme au soir du souper dans la villa du prince Conrad. Son visage, où ne se voyaient plus ni peur ni effarement, montrait plutôt l’effort de la réflexion, comme si elle eût voulu calculer toutes les conséquences de la situation qui lui était révélée. Paul Delroze ? Quel était le but de son agression ? Sans doute – et c’était évidemment cette pensée qui détendait peu à peu les traits de la comtesse Hermine –, sans doute poursuivait-il la délivrance de sa femme.

Elle sourit. Elisabeth prisonnière en Allemagne, quelle monnaie d’échange pour elle-même, pour elle, prise au piège, mais qui pouvait encore commander aux événements !

Sur un signe, Bernard s’avança, et Paul dit à la comtesse :

– Mon beau-frère. Le major Hermann, lorsqu’il était attaché dans la maison du passeur, l’a peut-être vu, comme il m’a peut-être vu. Mais, en tout cas, la comtesse Hermine, soyons plus précis, la comtesse d’Andeville, ne connaît pas, ou du moins a oublié son fils, Bernard d’Andeville.

Elle paraissait maintenant tout à fait rassurée, et gardait l’air de quelqu’un qui combat avec des armes égales et même plus puissantes. Elle ne se troubla donc pas en face de Bernard, et fit d’un ton dégagé :

– Bernard d’Andeville ressemble beaucoup à sa sœur Elisabeth, que les circonstances m’ont permis de ne pas perdre de vue, elle. Il y a trois jours encore nous soupions, elle et moi, avec le prince Conrad. Le prince Conrad a une grande affection pour Elisabeth, et c’est justice, car elle est charmante, et si aimable ! Je l’aime beaucoup, en vérité !

Paul et Bernard eurent un même geste, qui les eût jetés sur la comtesse s’ils n’avaient réussi à contenir leur haine. Paul écarta son beau-frère dont il sentait l’exaspération, et, répondant au défi de l’adversaire sur un ton aussi allègre :

– Mais oui, je sais… j’étais là… J’ai même assisté à son départ.

– Vraiment ?

– Vraiment. Votre ami Karl m’a offert une place dans son automobile.

– Dans son automobile ?

– Parfaitement, et nous sommes tous partis pour votre château de Hildensheim… une bien belle demeure que j’aurais eu plaisir à visiter plus à fond… Mais le séjour en est dangereux, souvent mortel… de sorte que…

La comtesse le regardait avec une inquiétude croissante. Que voulait-il dire ? Comment savait-il ces choses ?

Elle voulut l’effrayer à son tour, afin de voir clair dans le jeu de l’ennemi, et prononça d’une voix âpre :

– En effet, le séjour en est souvent mortel ! On respire là un air qui n’est pas bon pour tout le monde…

– Un air empoisonné…

– Justement.

– Et vous craignez pour Elisabeth ?

– Ma foi, oui. La santé de cette pauvre petite est déjà compromise, et je ne serai tranquille…

– Que quand elle sera morte, n’est-ce pas ?

Elle laissa passer quelques secondes, puis répliqua très nettement, de façon que Paul comprît bien la portée de ses paroles :

– Oui, quand elle sera morte… ce qui ne peut pas beaucoup tarder… si ce n’est déjà fait.

Il y eut un assez long silence. Une fois de plus, en face de cette femme, Paul éprouvait le même besoin de meurtre, le même