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vas faire tes paquets en deux temps, trois mouvements, et nous filons.

– Où ?

– Où ? Mais en France. Tout bien pesé, il n’y a encore que là que l’on se sente à l’aise.

Et, comme elle l’observait avec stupeur, il lui dit :

– Allons, dépêchons-nous. L’auto nous attend et j’ai promis à Bernard… oui, ton frère Bernard, je lui ai promis que nous le rejoindrions cette nuit… Tu es prête ? Ah ça, mais pourquoi cet air d’effarement ? Il te faut des explications ? Mais, ma chérie adorée, nous en avons pour des heures et des heures à nous expliquer tous deux. Tu as tourné la tête à un prince impérial… Et puis tu as été fusillée… Et puis… et puis… Enfin, quoi ! Dois-je demander main-forte pour que tu me suives ?

Elle comprit soudain qu’il parlait sérieusement, et elle lui dit, sans le quitter des yeux :

– C’est vrai ? nous sommes libres ?

– Entièrement libres.

– Nous rentrons en France ?

– Directement.

– Nous n’avons plus rien à craindre ?

– Rien.

Alors elle eut une brusque détente. À son tour elle se mit à rire, dans un de ces accès de joie désordonnés où l’on se laisse aller à toutes les gamineries et à tous les enfantillages. Pour un peu, elle eût chanté, elle eût dansé. Et ses larmes coulaient, cependant. Et elle balbutiait :

– Libre !… C’est fini !…Ai-je souffert ?… Mais non… Ah ! tu savais que j’ai été fusillée ? Eh bien, je te le jure, ça n’est pas si terrible… Je te raconterai cela, et tant d’autres choses … Toi aussi, tu me raconteras… Mais comment as-tu réussi ? Tu es donc plus fort qu’eux ? Plus fort que l’ineffable Conrad, plus fort que l’empereur ? Mon Dieu, que c’est drôle ! Mon Dieu, que c’est drôle !…

Elle s’interrompit et, lui prenant le bras avec une violence subite :

– Allons-nous-en, mon chéri. C’est de la folie de rester ici une seconde de plus. Ces gens-là sont capables de tout. Ce sont des fourbes, des criminels. Allons-nous-en… Allons-nous-en…

Ils partirent,

Aucun incident ne troubla leur voyage. Le soir ils arrivaient aux lignes du front, en face d’Ebrecourt.

L’officier d’ordonnance, qui avait tous pouvoirs, fit allumer un réflecteur, et lui-même, après avoir ordonné qu’on agitât un drapeau blanc, conduisit Elisabeth et Paul à l’officier français qui se présenta.

Celui-ci téléphona aux services de l’arrière. Une automobile fut envoyée.

À neuf heures, Elisabeth et Paul s’arrêtaient à la grille d’Ornequin, et Paul faisait demander Bernard, au-devant duquel il se rendit :

– C’est toi, Bernard ? lui dit-il. Écoute-moi, et soyons brefs. Je ramène Elisabeth. Oui, elle est ici dans l’auto. Nous partons pour Corvigny, et tu viens avec nous. Pendant que je vais chercher ma valise et la tienne, toi, donne les ordres nécessaires pour que le prince Conrad soit surveillé de près. Il est en sûreté, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Alors dépêchons. Il s’agit de rejoindre la femme que tu as vue la nuit dernière au moment où elle entrait dans le tunnel. Puisqu’elle est en France, donnons-lui la chasse.

– Ne crois-tu pas, Paul que nous trouverions plutôt sa piste en retournant nous-mêmes dans le tunnel et en cherchant l’endroit où il débouche aux environs de Corvigny ?

– Du temps perdu. Nous en sommes à un moment de la lutte où il faut brûler les étapes.

– Voyons, Paul, la lutte est finie puisque Elisabeth est sauvée.

– La lutte ne sera pas finie tant que cette femme vivra.

– Mais enfin, qui est-ce ?

Paul ne répondit pas.

… À dix heures ils descendaient tous trois devant la station de Corvigny. Il n’y avait plus de train. Tout le monde dormait. Sans se rebuter, Paul se rendit au poste militaire, réveilla l’adjudant de service, fit venir le chef de gare, fit venir la buraliste, et réussit, après une enquête minutieuse, à établir que, le matin même de ce lundi, une femme avait pris un billet pour Château-Thierry, munie d’un sauf-conduit en règle au nom de Mme Antonin. Aucune autre femme n’était partie seule. Elle portait l’uniforme de la Croix-Rouge. Son signalement, comme taille et comme visage, correspondait à celui de la comtesse Hermine.

– C’est bien elle, déclara Paul, lorsqu’il se fut installé à l’hôtel voisin, ainsi qu’Elisabeth et que Bernard, pour y passer la nuit. C’est bien elle. Elle ne pouvait s’en aller de Corvigny que par là. Et c’est par là que demain matin mardi, à la même heure qu’elle, nous nous en irons. J’espère qu’elle n’aura pas le temps de mettre à exécution le projet qui l’amène en France. En tout cas l’occasion est unique pour nous. Profitons-en.

Et comme Bernard répétait :

– Mais enfin, qui est-ce ?

Il répliqua :

– Qui est-ce ? Elisabeth va te le dire. Nous avons une heure devant nous pour nous expliquer sur certains points, et puis on se reposera, ce dont nous avons besoin tous les trois.

Le lendemain, ce fut le départ.

La confiance de Paul était inébranlable. Bien qu’il ne sût rien des intentions de la comtesse Hermine, il était sûr de marcher dans la bonne voie. De fait, à plusieurs reprises, ils eurent la preuve qu’une infirmière de la Croix-Rouge, voyageant seule et