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aucun doute, s’il n’avait pu reconnaître le prince Conrad, avait discerné la silhouette de deux fugitifs.

À genoux, il tira un coup de revolver sur Paul. Celui-ci lui cassa le bras d’une balle. Mais le sous-officier vociféra de plus belle :

– En avant ! Il y en a deux qui ont fichu le camp par le tunnel ! En avant ! Voilà du renfort !

C’était une demi-douzaine de soldats des casernes, accourus au bruit des détonations. Paul, qui avait réussi à pénétrer dans la baraque, cassa le carreau d’une lucarne et tira trois fois. Les soldats se mirent à l’abri, mais d’autres arrivèrent, prirent les ordres du sous-officier, puis se dispersèrent, et Paul les vit qui escaladaient les pentes voisines afin de le tourner. Il tira encore quelques coups de fusil. À quoi bon ! Tout espoir d’une résistance plus longue disparaissait.

Il s’obstina néanmoins, tenant ses adversaires à distance, tirant sans relâche et gagnant ainsi du temps jusqu’aux limites du possible. Mais il s’aperçut que la manœuvre de l’ennemi avait pour but, après l’avoir tourné, de se diriger vers le tunnel et de donner la chasse aux fugitifs…

Paul se cramponnait. Il avait réellement conscience de chaque seconde qui s’écoulait, de chacune de ces secondes inappréciables qui augmentaient la distance où se trouvait Bernard.

Trois hommes s’engouffrèrent dans l’orifice béant, puis quatre, puis cinq.

En outre, les balles commençaient à pleuvoir sur la baraque.

Paul calculait :

« Bernard doit être à six ou sept cents mètres. Les trois hommes qui le poursuivent sont à cinquante mètres… à soixante-quinze maintenant. Tout va bien, »

Une masse serrée d’Allemands s’en venait sur la baraque. Il était évident que l’on ne croyait pas que Paul y fût seul enfermé, tellement il multipliait ses efforts. Cette fois il n’y avait plus qu’à se rendre.

« Il est temps, pensa-t-il, Bernard est en dehors de la zone dangereuse. »

Brusquement, il se précipita vers le tableau qui contenait les manettes correspondant aux fourneaux de mine pratiqués dans le tunnel, d’un coup de crosse fit voler la vitre en éclats, et rabattit la première et la seconde de ces manettes.

Il sembla que la terre frémissait. Un grondement de tonnerre roula sous le tunnel, et se propagea longuement, comme un écho qui rebondit.

Entre Bernard d’Andeville et la meute qui cherchait à l’atteindre, la route était barrée. Bernard pouvait emmener tranquillement en France le prince Conrad.

Alors Paul sortit de la cabane, en levant les bras et en criant d’une voix joyeuse :

– Camarade ! Camarade !

Dix hommes l’entouraient déjà, et un officier qui les commandait hurla, fou de rage :

– Qu’on le fusille !… Tout de suite… tout de suite… qu’on le fusille ! …


VI

La loi du vainqueur

Si brutalement qu’on le traitât, Paul n’opposa pas la moindre résistance. Tandis qu’on le collait, avec une violence exaspérée, contre une partie verticale de la falaise, il continuait en lui-même ses calculs :

« Il est mathématiquement certain que les deux explosions se sont produites à des distances de trois cents et quatre cents mètres. Donc, je puis admettre également comme certain que Bernard et le prince Conrad se trouvaient au-delà, et que les hommes qui leur donnaient la chasse se trouvaient en deçà. Donc, tout est pour le mieux.

Docilement, avec une sorte de complaisance ironique, il se prêtait aux préparatifs de son exécution, et, déjà, les douze soldats qui en étaient chargés, s’alignant sous la vive lumière d’un projecteur électrique, n’attendaient plus qu’un ordre. Le sous-officier qu’il avait blessé au début du combat, se traîna jusqu’à lui et grinça :

– Fusillé !… Fusillé !… Sale Franzose…

Il répondit en riant :

– Mais non, mais non, les choses ne vont pas si vite que cela.

– Fusillé, répéta l’autre. Le herr leutnant l’a dit.

– Eh bien, quoi ! Qu’est-ce qu’il attend, le herr leutnant ?

Le lieutenant faisait une rapide enquête à l’entrée du tunnel. Les hommes qui s’y étaient engouffrés revinrent en courant, à demi asphyxiés par les gaz de l’explosion. Quant au factionnaire dont Bernard avait dû se débarrasser, il perdait son sang en telle abondance qu’il fallut renoncer à tirer de lui de nouveaux renseignements.

C’est à ce moment que des nouvelles arrivèrent des casernes. On venait d’apprendre par une estafette envoyée de la villa que le prince Conrad avait disparu, et l’on mandait aux officiers de doubler les postes et de faire bonne garde, surtout aux abords du tunnel.

Certes Paul avait escompté cette diversion, ou toute autre du même genre, qui suspendrait son exécution. Le jour commençait à poindre, et il supposait bien que, le prince Conrad ayant été laissé ivre-mort dans sa chambre, un de ses domestiques devait avoir mission de veiller sur lui. Ce domestique, trouvant les portes fermées, avait donné l’alarme. D’où les recherches immédiates.

Mais la surprise pour Paul, ce fut que l’on ne soupçonnât point l’enlèvement du prince par la voie du tunnel. Le factionnaire évanoui ne pouvait parler. Les hommes ne s’étaient pas rendus compte que, sur les deux fugitifs aperçus de loin, l’un des deux entraînait l’autre. Bref, on crut le prince assassiné.