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C’est incontestablement par là que le major Hermann est venu au château le soir de l’attaque. Son complice Karl l’accompagnait. Voyant nos noms inscrits sur le mur, ils ont poignardé ceux qui dormaient dans cette chambre. C’étaient le soldat Gériflour et son camarade.

Bernard d’Andeville plaisanta :

– Écoute, Paul, depuis tantôt tu me stupéfies. Tu agis avec une divination et une clairvoyance ! allant droit à la place où il faut creuser, racontant ce qui s’était passé comme si tu en avais été le témoin, sachant tout et prévoyant tout. En vérité, nous ne te connaissions pas de pareils dons ! As-tu fréquenté Arsène Lupin ?

Paul s’arrêta.

– Pourquoi prononces-tu ce nom ?

– Le nom de Lupin ?

– Oui.

– Ma foi, le hasard… Est-ce qu’il y aurait un rapport quelconque ?…

– Non, non… et cependant…

Paul se mit à rire.

– Écoute une drôle d’histoire. Est-ce une histoire, même ? Oui, évidemment, ce n’est pas un rêve… Néanmoins… Toujours est-il qu’un matin, comme je sommeillais tout fiévreux à l’ambulance d’où nous venons, je me suis aperçu, avec une surprise que tu comprendras, qu’il y avait, dans ma chambre, un officier que je ne connaissais pas, un médecin-major, qui s’était assis devant une table et qui, tranquillement, fouillait dans ma valise.

« Je me levai à moitié, et je vis qu’il avait étalé sur la table tous mes papiers, et, parmi ces papiers, le journal même d’Elisabeth.

« Au bruit que je fis, il se tourna. Décidément, je ne le connaissais pas. Il avait une moustache fine, un air d’énergie, et un sourire très doux. Il me dit… non, en vérité, ce n’était pas un rêve… il me dit :

« – Ne bougez pas… ne vous surexcitez pas…

« Il referma les papiers, les rentra dans la valise et s’approcha de moi :

« – Je vous demande pardon de ne pas m’être présenté d’abord – je le ferai tout à l’heure – et pardon aussi du petit travail que je viens d’effectuer sans votre autorisation. J’attendais d’ailleurs votre réveil pour vous en rendre compte. Donc voici. Un des émissaires que j’entretiens actuellement auprès de la police secrète m’a remis des documents qui concernent la trahison d’un certain major Hermann, chef d’espionnage allemand. Dans ces documents, il est question plusieurs fois de vous. C’est pourquoi le hasard m’ayant révélé votre présence ici, j’ai voulu vous voir et m’entendre avec vous. Je suis donc venu, et me suis introduit… par des moyens qui me sont personnels. Vous étiez malade, vous dormiez, mon temps est précieux (je n’ai que quelques minutes), je ne pouvais donc hésiter à prendre connaissance de vos papiers. Et j’ai eu raison puisque je suis fixé.

« Je contemplai avec stupeur l’étrange personnage. Il prit son képi, comme pour se retirer et me dit :

« – Je vous félicite, lieutenant Delroze, de votre courage et de votre adresse. Tout ce que vous avez fait est admirable et les résultats obtenus sont de premier ordre. Il vous manque évidemment quelques dons spéciaux qui vous permettraient d’arriver plus vite au but. Vous ne saisissez pas bien les rapports entre les événements, et vous n’en faites pas jaillir les conclusions qu’ils comportent. Ainsi je m’étonne que certains passages du journal de votre femme, où elle parle de ses découvertes troublantes, ne vous aient pas donné l’éveil. Si vous vous étiez demandé, d’autre part, pourquoi les Allemands avaient accumulé tant de mesures destinées à faire le vide autour du château, de fil en aiguille, de déduction en déduction, interrogeant le passé et le présent, vous souvenant de votre rencontre avec l’empereur d’Allemagne, et de beaucoup d’autres choses qui se relient d’elles-mêmes les unes aux autres, vous en seriez arrivé à vous dire qu’il doit y avoir, entre les deux côtés de la frontière, une communication secrète aboutissant exactement à l’endroit d’où l’on pouvait tirer sur Corvigny.

À priori, cet endroit me semble devoir être la terrasse, et vous en serez tout à fait certain si vous retrouvez sur cette terrasse l’arbre mort entouré de lierre auprès duquel votre femme a cru entendre des bruits souterrains. Dès lors, vous n’aurez plus qu’à vous mettre à l’ouvrage, c’est-à-dire, n’est-ce pas, à passer en pays ennemi et à… Mais je m’arrête là. Un plan d’action trop précis pourrait vous gêner. Et puis, un homme comme vous n’a pas besoin qu’on lui mâche la besogne. Bonsoir, mon lieutenant. Ah ! à propos, il serait bon que mon nom ne vous fût pas tout à fait inconnu. Je me présente : le médecin-major… Mais après tout, pourquoi ne pas vous dire mon vrai nom ? Il vous renseignera davantage : Arsène Lupin.

« Il se tut, me salua d’un air aimable et se retira sans dire un mot de plus. Voilà l’histoire. Qu’en dis-tu Bernard ? »

– Je dis que tu as eu affaire à un fumiste.

– Soit, mais tout de même personne n’a pu me dire ce que c’était que ce médecin-major ni comment il s’était introduit auprès de moi. Et puis avoue que, pour un fumiste, il m’a dévoilé des choses qui me sont rudement utiles en ce moment.

– Mais Arsène Lupin est mort…

– Oui, je sais, il passe pour mort, mais sait-on jamais avec un pareil type ! Toujours est-il que, vivant ou mort, faux ou vrai, ce Lupin-là m’a rendu un fier service.

– Alors, ton but ?

– Je n’en ai qu’un, la délivrance d’Elisabeth.

– Ton plan ?

– Je n’en ai pas. Tout dépendra des circonstances, mais j’ai la conviction que je suis dans la bonne voie.

De fait, toutes ses hypothèses se vérifiaient.