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hôpital dont, selon toute probabilité, il pourra sortir en même temps que moi. Je voudrais qu’il eût le même congé et l’autorisation de m’accompagner.

– Entendu. Après ?

– Le père de Bernard, le comte Stéphane d’Andeville, sous-lieutenant interprète auprès de l’armée anglaise, a été blessé également ce jour-là, à mes côtés. J’ai appris que sa blessure, quoique grave, ne met pas ses jours en danger, et qu’il a été évacué sur un hôpital anglais… j’ignore lequel. Je vous prierai de le faire venir dès qu’il sera rétabli, et de le garder dans votre état-major jusqu’à ce que je vienne vous rendre compte de la tâche que j’entreprends.

– Accordé. C’est tout ?

– À peu près tout, mon général. Il ne me reste plus qu’à vous remercier de vos bontés, en vous demandant une liste de vingt prisonniers français, retenus en Allemagne, auxquels vous prenez un intérêt spécial. Ces prisonniers seront libres d’ici à quinze jours au plus tard.

– Hein ?

Malgré tout son sang-froid, le général semblait un peu interloqué. Il répéta :

– Libres d’ici à quinze jours ! Vingt prisonniers !

– Je m’y engage.

– Allons donc ?

– Il en sera comme je le dis.

– Quel que soit le grade de ces prisonniers ? Quelle que soit leur situation sociale ?

– Oui, mon général.

– Et par des moyens réguliers, avouables ?

– Par des moyens à l’encontre desquels aucune objection n’est possible.

Le général regarda Paul de nouveau, en chef qui a l’habitude de juger les hommes et de les estimer à leur juste valeur. Il savait que celui-là n’était pas un hâbleur, mais un homme de décision et de réalisation, qui marchait droit devant lui et qui tenait ce qu’il promettait.

Il répondit :

– C’est bien, mon ami. Cette liste vous sera remise demain.


III

Un chef-d’œuvre de la kultur


Le dimanche matin 10 janvier, le lieutenant Delroze et le sergent d’Andeville débarquaient en gare de Corvigny, allaient voir le commandant de place et, prenant une voiture, se faisaient conduire au château d’Ornequin.

– Tout de même, dit Bernard en s’allongeant dans la calèche, je ne pensais vraiment pas que les choses tourneraient de la sorte, lorsque je fus atteint d’un éclat de shrapnell entre l’Yser et la maison du passeur. Quelle fournaise à ce moment-là ! Tu peux me croire, Paul, si nos renforts n’étaient pas arrivés, cinq minutes de plus et nous étions fichus. C’est une rude veine !

– Oui, dit Paul, une rude veine ! Je m’en suis rendu compte le lendemain, en me réveillant dans une ambulance française.

– Ce qui est vexant, par exemple, reprit Bernard, c’est l’évasion de ce bandit de major Hermann. Ainsi, tu l’avais fait prisonnier ? Et tu l’as vu se dégager de ses liens et s’enfuir ? Il en a du culot, celui-là ! Sois sûr qu’il aura réussi à se défiler sans encombre. Paul murmura :

– Je n’en doute pas, et je ne doute pas non plus qu’il ne veuille mettre à exécution ses menaces contre Elisabeth.

– Bah ! Nous avons quarante-huit heures, puisqu’il donnait à son complice Karl le 10 janvier comme date de son arrivée, et qu’il ne doit agir que deux jours après.

– Et s’il agit dès aujourd’hui ? objecta Paul d’une voix altérée.

Malgré son angoisse, cependant, le trajet lui sembla rapide. Il se rapprochait enfin, d’une façon réelle cette fois, du but dont chaque jour l’éloignait depuis quatre mois. Ornequin, c’était la frontière, et à quelques pas de la frontière se trouvait Ebrecourt. Les obstacles qui s’opposeraient à lui avant qu’il n’atteignît Ebrecourt, avant qu’il ne découvrît la retraite d’Elisabeth, et qu’il ne pût sauver sa femme, il n’y voulait pas songer. Il vivait. Elisabeth vivait. Entre elle et lui il n’y, avait point d’obstacles.

Le château d’Ornequin, ou plutôt ce qui en restait – car les ruines mêmes du château avaient subi en novembre un nouveau bombardement – servait de cantonnement à des troupes territoriales, dont les tranchées de première ligne longeaient la frontière.

On se battait peu de ce côté, les adversaires, pour des raisons de tactique, n’ayant pas avantage à se porter trop en avant. Les défenses s’équivalaient, et de part et d’autre, la surveillance était très active.

Tels furent les renseignements que Paul obtint du lieutenant de territoriale avec lequel il déjeuna.

– Mon cher camarade, conclut l’officier, après que Paul lui eût confié l’objet de son entreprise, je suis à votre entière disposition mais s’il s’agit de passer d’Ornequin à Ebrecourt, soyez-en certain, vous ne passerez pas.

– Je passerai.

– Par la voie des airs, alors ? dit l’officier en riant.

– Non.

– Donc, par une voie souterraine ?

– Peut-être.

– Détrompez-vous. Nous avons voulu exécuter des travaux de sape et de mine. Vainement. Nous sommes ici sur un terrain de vieilles roches dans lequel il est impossible de creuser.

Paul sourit à son tour.

– Mon cher camarade, ayez l’obligeance de me donner, durant une heure seulement, quatre hommes solides, armés de pics et de pelles, et ce soir je serai à Ebrecourt.