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Maîtrisé, l’ennemi n’opposa aucune résistance. Paul l’enroula dans son manteau et le saisit à la gorge.

De sa main libre, il lui jeta en pleine figure la lumière de sa lanterne. Son instinct ne l’avait pas trompé : il tenait le major Hermann.


II

La maison du passeur


Paul Delroze ne prononça pas une parole. Poussant devant lui son prisonnier, dont il avait attaché les poignets derrière le dos, il revint vers le pont, parmi les ténèbres illuminées de courtes lueurs.

L’attaque se poursuivait. Cependant un certain nombre de fuyards ayant voulu s’échapper, et les volontaires qui gardaient le pont les ayant accueillis à coups de fusil, les Allemands se crurent tournés, et cette diversion précipita leur défaite.

Lorsque Paul arriva, le combat était fini. Mais une contre-attaque ennemie, soutenue par les renforts promis au commandant du poste, ne pouvait pas tarder à se produire et tout de suite on organisa la défense.

La maison du passeur, que les Allemands avaient puissamment fortifiée et entourée de tranchées, se composait d’un rez-de-chaussée et d’un seul étage dont les trois pièces n’en formaient plus qu’une seule. Une soupente cependant, qui servait autrefois de mansarde à un domestique, et à laquelle on accédait par trois marches de bois, s’ouvrait comme une alcôve au fond de cette vaste pièce. C’est là que Paul à qui était réservée l’organisation de l’étage, c’est là que Paul amena son prisonnier. Il le coucha sur le parquet, le ligota à l’aide d’une corde et l’attacha solidement à une poutre, et, tout en agissant, il fut pris d’un tel élan de haine qu’il le saisit à la gorge comme pour l’étrangler.

Il se domina. À quoi bon se presser ? Avant de tuer cet homme ou de le livrer aux soldats qui le colleraient au mur, ne serait-ce pas une joie profonde que de s’expliquer avec lui ?

Comme le lieutenant entrait, il lui dit de façon à être entendu de tous et surtout du major :

– Mon lieutenant, je vous recommande ce misérable, qui n’est autre que le major Hermann, un des chefs de l’espionnage allemand. J’ai des preuves sur moi. S’il m’arrivait malheur, qu’on ne l’oublie pas. Et, au cas où il faudrait battre en retraite…

Le lieutenant sourit.

– Hypothèse inadmissible. Nous ne battrons pas en retraite, pour la bonne raison que je ferais plutôt sauter la bicoque. Et, par conséquent, le major Hermann sauterait avec nous. Donc, soyez tranquille.

Les deux officiers se concertèrent sur les mesures de défense, et rapidement on se mit à l’œuvre.

Avant tout, le pont de bateaux fut disloqué, des tranchées creusées sur le long du canal, et les mitrailleuses retournées. À son étage, Paul fit transporter les sacs de terre d’une façade à l’autre et consolider, à l’aide de poteaux placés en arcs-boutants, les parties de mur qui semblaient le moins solides.

À cinq heures et demie, sous la clarté des projecteurs allemands, plusieurs obus tombèrent aux environs. L’un d’eux atteignit la maison. Les grosses pièces commençaient à balayer le chemin de halage.

C’est par ce chemin que déboucha, un peu avant le jour, un détachement de cyclistes envoyés en hâte. Bernard d’Andeville les précédait.

Il expliqua que deux compagnies et une section de sapeurs, devançant un bataillon complet, s’étaient mis en route, mais que, gênés par les obus ennemis, ils devaient longer les marais, en contrebas et à l’abri du talus qui étayait le chemin de halage. Leur marche étant ainsi ralentie, il faudrait les attendre pour le moins une heure.

– Une heure, dit le lieutenant, ce sera long. Mais c’est possible. Donc…

Tandis qu’il donnait de nouveaux ordres et qu’il assignait leurs postes aux cyclistes, Paul remonta, et il allait raconter à Bernard la capture du major Hermann lorsque son beau-frère lui annonça :

– Tu sais, Paul, papa est ici avec moi !

Paul tressauta.

– Ton père est ici ? Ton père est venu avec toi ?

– Parfaitement, et de la manière la plus naturelle du monde. Figure-toi qu’il cherchait l’occasion depuis quelque temps déjà… Ah ! à propos, il a été nommé sous-lieutenant interprète.

Paul n’écoutait pas. Il se disait seulement :

« M. d’Andeville est là… M. d’Andeville, le mari de la comtesse Hermine. Il ne peut pas ne pas savoir, lui. Est-elle vivante ou morte ? Ou bien a-t-il été jusqu’au bout la dupe d’une intrigante, et garde-t-il à la disparue son souvenir et sa tendresse ? Mais non, cela n’est pas croyable, puisqu’il y a cette photographie, faite quatre ans plus tard, et qui lui a été envoyée, et envoyée de Berlin ! Donc il sait, et alors… »

Paul était vivement troublé. Les révélations de l’espion Karl lui avaient montré tout à coup M. d’Andeville sous un jour étrange. Et voilà que les circonstances amenaient M. d’Andeville auprès de lui, à l’instant même où le major Hermann venait d’être capturé !

Paul se tourna vers la soupente. Le major ne bougeait pas, le visage collé contre la muraille.

– Ton père est donc resté dehors ? dit Paul à son beau-frère.

– Oui, il avait pris la bicyclette d’un homme qui a couru près de nous et qui a été légèrement blessé. Papa le soigne.