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L’ÉCLAT D’OBUS
(1914)

PREMIÈRE PARTIE

I

un crime a été commis


— Si je vous disais que je me suis trouvé en face de lui, jadis, sur le territoire même de la France  ! Elisabeth regarda Paul Delroze avec l’expression de tendresse d’une jeune mariée pour qui le moindre moi de celui qu’elle aime est un sujet d’émerveillement.

— Vous avez vu Guillaume II en France  ? dit-elle.

— De mes yeux vu, et sans qu’il me soit possible d’oublier une seule des circonstances qui ont marqué cette rencontre. Et cependant il y a bien longtemps…

Il parlait avec une gravité soudaine, et comme si l’évocation de ce souvenir eût éveillé en lui les pensées les plus pénibles. Elisabeth lui dit  :

— Racontez-moi cela, Paul, voulez-vous  ?

— Je vous le raconterai, fit-il. D’ailleurs, bien que je ne fusse encore qu’un enfant à cette époque, l’incident est mêlé de façon si tragique à ma vie elle-même que je ne pourrais pas ne pas vous le confier en tous ses détails.

Ils descendirent. Le train s’était arrêté en gare de Corvigny, station terminus de la ligne d’intérêt local qui part du chef-lieu, atteint la vallée du Liseron et aboutit, six lieues avant la frontière, au pied de la petite cité lorraine que Vauban entoura, dit-il en ses Mémoires, «  des plus parfaites demi-lunes qui se puissent imaginer  ».

La gare présentait une animation extrême. Il y avait beaucoup de soldats et un grand nombre d’officiers. Une multitude de voyageurs, familles bourgeoises, paysans, ouvriers, baigneurs des villes d’eaux voisines que desservait Corvigny, attendaient sur le