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doir d’Hermine d’Andeville n’avait pas été entièrement démolie par l’explosion des mines ni par celle des obus. Peut-être ainsi le boudoir demeurait-il dans son état primitif.

L’escalier n’existant plus, ils ne purent atteindre le premier étage qu’en escaladant les moellons écroulés. Le corridor se devinait à certains endroits. Toutes les portes étaient arrachées et les chambres offraient un chaos lamentable.

– Voici, dit Paul, montrant un vide entre deux pans de mur qui se maintenaient par miracle.

C’était bien le boudoir d’Hermine d’Andeville, délabré, crevassé, jonché de plâtras et de débris, mais parfaitement reconnaissable et rempli des meubles que Paul avait entraperçus le soir de son mariage. Les volets des fenêtres bouchaient le jour en partie. Mais il y avait assez de lumière pour que Paul devinât le mur opposé. Et tout de suite, il s’écria :

– Le portrait a été enlevé !

Pour lui, ce fut une grosse déception et, en même temps, une preuve de l’importance considérable que l’adversaire attachait à ce portrait. Si on l’avait enlevé, n’était-ce point parce qu’il constituait un témoignage accablant ?

– Je te jure, dit Bernard, que cela ne modifie en rien mon opinion. La certitude que j’ai relativement au major et à la paysanne de Corvigny n’a pas besoin d’être contrôlée. Qu’est-ce qu’il représentait, ce portrait ?

– Je te l’ai dit, une femme.

– Quelle femme ? Était-ce un tableau que mon père y avait mis, un des tableaux de sa collection ?

– Justement, affirma Paul, désireux de donner le change à son beau-frère.

Ayant écarté l’un des volets, il distingua sur la muraille nue le grand rectangle que le tableau recouvrait naguère, et il put se rendre compte, à certains détails, que l’enlèvement avait été précipité. Ainsi, le cartouche arraché du cadre gisait à terre. Paul le ramassa furtivement pour que Bernard ne vît pas l’inscription qui s’y trouvait gravée.

Mais comme il examinait plus attentivement le panneau et que Bernard avait décroché l’autre volet, il poussa une exclamation.

– Qu’y a-t-il ? dit Bernard.

– Là… tu vois… cette signature sur la muraille… à l’endroit même du tableau… Une signature et une date.

C’était écrit au crayon, en deux lignes qui rayaient le plâtre blanc à une hauteur d’homme. La date : mercredi soir, 16 septembre 1914. La signature : Major Hermann.

Major Hermann ! Avant même que Paul en eût conscience, ses yeux s’accrochaient à un détail où se concentrait toute la signification de ces lignes, et, tandis que Bernard se penchait et regardait à son tour, il murmurait avec un étonnement sans bornes :

– Hermann… Hermine…

C’étaient presque les mêmes mots ! Hermine débutait par les mêmes lettres que le nom ou que le prénom dont le major faisait suivre son grade sur la muraille. Major Hermann ! la comtesse Hermine ! H. E. R. M… les quatre lettres incrustées sur le poignard avec lequel on avait voulu le tuer, lui ! H. E. R. M…, les quatre lettres incrustées sur le poignard de l’espion qu’il avait capturé dans le clocher d’une église ! Bernard prononça :

– À mon avis, c’est une écriture de femme. Mais alors…

Et pensivement il continua :

– Mais alors… que devons-nous conclure ? Ou bien la paysanne d’hier et le major Hermann ne sont qu’un seul et même personnage, c’est-à-dire que cette paysanne est un homme ou que le major n’en est pas un… Ou bien… ou bien nous avons affaire à deux personnages distincts, une femme et un homme, et je crois qu’il en est ainsi, malgré la ressemblance surnaturelle qui existe entre cet homme et cette femme… Car enfin, comment admettre qu’un même personnage ait pu hier soir signer cela ici, franchir les lignes françaises et, déguisé en paysanne, m’aborder à Corvigny… et puis, ce matin, revenir ici déguisé en major allemand, faire sauter le château, fuir, et, après avoir tué quelques-uns de ses soldats, disparaître en automobile ?

Paul ne répondit pas, absorbé par ses réflexions. Au bout d’un moment, il passa dans la chambre voisine, qui séparait le boudoir de l’appartement que sa femme Elisabeth avait habité.

De l’appartement, il ne restait rien que des décombres. Mais la pièce intermédiaire n’avait pas trop pâti et il était facile de constater, au lavabo, au lit couvert de draps en désordre, qu’elle servait de chambre et qu’on y avait couché la nuit précédente.

Sur la table, Paul trouva des journaux allemands et un journal français, daté du 10 septembre, où le communiqué qui relatait la victoire de la Marne était biffé de deux grands traits au crayon rouge et annoté de ce mot : « Mensonge ! mensonge ! » avec la signature H.

– Nous sommes bien chez le major Hermann, dit Paul à Bernard.

– Et le major Hermann, déclara Bernard, a brûlé cette nuit des papiers compromettants… Tu vois dans la cheminée cet amoncellement de cendres.

Il se baissa et recueillit quelques enveloppes et quelques feuilles à demi consumées, qui, d’ailleurs, ne présentaient que des mots sans suite et des phrases incohérentes.

Mais le hasard ayant tourné ses yeux vers le lit, il avisa, sous le sommier, un paquet de vêtements cachés, ou peut-être oubliés dans la hâte du départ. Il les tira vers lui et aussitôt s’écria :

– Ah ! celle-là est un peu forte !

– Quoi ? fit Paul, qui fouillait la chambre de son côté.

– Ces vêtements… des vêtements de paysanne… ceux que j’ai vus sur la femme