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cochon… et je me charge de le lui dire en pleine face… un cochon comme toute sa famille et comme vous tous…

Ils laissèrent l’oberleutnant fort ahuri et ne comprenant rien à cette fureur subite.

Mais dehors Paul eut un accès de désespoir. Ses nerfs se détendaient. Toute sa colère et toute sa haine se changeaient en un abattement infini. Il retenait à peine ses larmes.

– Voyons, Paul, s’écria Bernard, tu ne vas pas croire un mot…

– Non, mille fois non ! Mais ce qui s’est passé, je le devine. Ce soudard de prince aura voulu faire le beau devant Elisabeth et profiter de ce qu’il était le maître… Pense donc ! une femme seule, sans défense, voilà une conquête qui en vaut la peine. Quelles tortures elle a dû subir, la malheureuse ! quelles humiliations ! Une lutte de chaque jour… des menaces… des brutalités… Et puis, au dernier moment, pour la punir de sa résistance, la mort…

– On la vengera, Paul, dit Bernard à voix basse.

– Certes, mais oublierai-je jamais que c’est pour moi qu’elle est restée ici… par ma faute. Plus tard je t’expliquerai et tu comprendras combien j’ai été dur et injuste… Et cependant…

Il demeura songeur. L’image du major le hantait, et il répéta :

– Et cependant… cependant… il y a des choses si étranges…

Tout l’après-midi, des troupes françaises continuèrent d’affluer par la vallée du Liseron et par le village d’Ornequin, afin de s’opposer à un retour offensif de l’ennemi. La section de Paul étant au repos, il en profita pour se livrer avec Bernard à des recherches minutieuses dans le parc et dans les ruines du château. Mais aucun indice ne leur révéla où le corps d’Elisabeth avait été enfoui.

Vers cinq heures, ils firent donner à Rosalie et à Jérôme une sépulture convenable. Deux croix se dressèrent au sommet d’un petit tertre semé de fleurs. Un aumônier vint dire les prières des morts. Et ce fut avec émotion que Paul s’agenouilla sur la tombe des deux fidèles serviteurs que leur dévouement avait perdus.

À ceux-là aussi, Paul promit de les venger. Et son désir de vengeance évoquait en lui, avec une intensité presque douloureuse, l’image exécrée de ce major, cette image qui ne pouvait plus maintenant se détacher du souvenir qu’il gardait de la comtesse d’Andeville.

Il emmena Bernard.

– Es-tu sûr de ne t’être pas trompé en faisant un rapprochement entre le major et la soi-disant paysanne qui t’a interrogé à Corvigny ?

– Absolument sûr.

– Alors, viens. Je t’ai parlé d’un portrait de femme. Nous allons le voir et tu me diras ton impression immédiate.

Paul avait remarqué que la partie du château où se trouvaient la chambre et le bou-