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Le capitaine d’artillerie, qui avait écouté la conversation, plaisanta à son tour :

– Pendant que vous y êtes, caporal, puisque vous m’avez déjà fourni l’indication de la distance, et que je connais à peu près la direction, ne pourriez-vous me préciser cette direction afin que je règle exactement mon tir et que je démolisse les batteries allemandes ?

– Ce sera plus long et beaucoup plus difficile, mon capitaine, répondit Paul. J’essaierai cependant. À onze heures précises, vous voudrez bien examiner l’horizon, du côté de la frontière. Je lancerai un signal.

– Lequel ?

– Je l’ignore. Trois fusées sans doute…

– Mais votre signal n’aura de valeur que s’il s’élève au-dessus même de la position ennemie…

– Justement…

– Et pour cela il faudrait la connaître…

– Je la connaîtrai.

– Et s’y rendre…

– Je m’y rendrai.

Paul salua, pivota sur les talons, et, avant même que les officiers eussent le temps de l’approuver ou d’émettre une objection, il se glissait en courant au ras du talus, s’engageait à gauche dans une sorte de cavée dont les bords étaient hérissés de ronces, et disparaissait.

– Drôle de type, murmura le colonel. Où veut-il en venir ?

Une telle décision et une telle audace le disposaient en faveur du jeune soldat et, bien qu’il n’eût qu’une confiance assez restreinte dans le résultat de l’entreprise, il lui fut impossible de ne pas consulter plusieurs fois sa montre durant les minutes qu’il passa, avec ses officiers, derrière le frêle rempart d’une meule de foin. Minutes effroyables, où le chef de corps ne pense pas un instant au danger qui le menace, mais au danger de tous ceux dont il a la garde et qu’il considère comme ses enfants.

Il les voyait autour de lui, étendus dans le chaume, la tête couverte de leur sac, ou bien pelotonnés dans les taillis, ou bien tapis dans les creux du sol. L’ouragan de fer s’acharnait après eux. Cela se précipitait comme une grêle rageuse qui veut accomplir en toute hâte sa besogne de destruction. Soubresauts d’hommes qui font une pirouette et qui retombent immobiles, hurlements de blessés, cris de soldats qui s’interpellent, plaisanteries même… Et par là-dessus le tonnerre ininterrompu des explosions…

Et puis subitement le silence, un silence total, définitif, un apaisement infini dans l’espace et sur le sol, une sorte de délivrance ineffable. Le colonel exprima sa joie par un éclat de rire.

– Cristi ! le caporal Delroze est un rude homme. Le comble, ce serait que le champ de betteraves en question fût arrosé à son tour, comme il l’a promis.