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d’Allemagne avait surgi, suivi de la femme qui, dix minutes plus tard, assassinait…

Paul se dirigea vers la porte. Il voulait revoir l’endroit dans lequel, pour la dernière fois, son père lui avait adressé la parole. Quelle émotion ! Le même petit toit qui avait abrité leurs bicyclettes débordait par-derrière, et c’était la même porte de bois à grosses ferrures rouillées.

Il monta l’unique marche. Il souleva le loquet. II poussa le battant. Mais, en ce moment exact où il entrait, deux hommes cachés dans l’ombre, à droite et à gauche, bondirent sur lui.

L’un d’eux le visa de son revolver en pleine figure. Par quel miracle Paul put-il discerner le canon de l’arme et se baisser à temps pour que la balle ne l’atteignît point ? Une deuxième détonation retentit. Mais il avait bousculé l’homme et lui arrachait l’arme des mains, tandis que le second de ses agresseurs le menaçait d’un poignard. Il recula et sortit de la chapelle, le bras tendu et les tenant en respect avec le revolver.

– Haut les mains ! cria-t-il.

Sans attendre le geste qu’il ordonnait, à son insu il pressa la détente à deux reprises. Les deux fois il y eut un claquement… aucune détonation. Mais il avait suffi qu’il tirât pour que les deux misérables, effrayés, fissent volte-face au plus vite et se sauvassent à toutes jambes.

Une seconde, Paul resta indécis, stupéfait par la brusquerie de ce guet-apens. Puis, vivement, il tira de nouveau sur les fuyards. Mais à quoi bon ! l’arme, chargée sans doute de deux coups seulement, claquait et ne détonait pas.

Alors, il se mit à courir dans la direction que suivaient ses agresseurs, et il se rappelait que jadis l’empereur et sa compagne, en s’éloignant de la chapelle, avaient pris cette même direction qui était évidemment celle de la frontière.

Presque aussitôt les hommes, se voyant poursuivis, entrèrent dans le bois et se faufilèrent entre les arbres. Mais Paul, plus agile, gagnait du terrain, et d’autant plus rapidement qu’il avait contourné une dépression encombrée de fougères et de ronces où les autres s’étaient aventurés.

Soudain l’un d’eux lança un coup de sifflet strident. Était-ce un signal à l’adresse de quelque complice ? Un peu après, ils disparurent derrière une ligne d’arbustes très touffus. Quand il eut franchi cette ligne, Paul aperçut à cent pas devant lui un mur élevé qui semblait clore les bois de tous côtés. Les hommes se trouvaient à mi-chemin, et il s’avisa qu’ils allaient tout droit vers une partie de ce mur où il y avait une petite porte basse.

Paul redoubla d’efforts afin d’arriver avant qu’ils n’eussent le temps d’ouvrir. Le terrain découvert lui permettait une allure plus vive et les hommes, visiblement épuisés, ralentissaient.

– Je les tiens, les bandits, fit-il à haute voix. Enfin je vais donc savoir…

Un deuxième coup de sifflet, suivi d’un cri rauque. Il n’était plus qu’à trente pas d’eux et il les entendait parler.

– Je les tiens, je les tiens, se répétait-il avec une joie farouche. Et il se proposait de frapper l’un au visage avec le canon de son revolver et de sauter à la gorge de l’autre.

Mais, avant même qu’ils n’eussent atteint le mur, la porte fut poussée du dehors. Un troisième individu apparut, qui leur livra passage.

Paul jeta son revolver et son élan fut tel, et il déploya une telle énergie, qu’il réussit à saisir la porte et à la tirer vers lui.

La porte céda. Et ce qu’il vit alors l’épouvanta à un tel point qu’il eut un mouvement de recul et qu’il ne songea pas à se défendre contre cette nouvelle attaque. Le troisième individu – ô cauchemar atroce !… et d’ailleurs était-il possible que ce fût autre chose qu’un cauchemar ? – le troisième individu levait un couteau sur lui, et le visage de celui-ci, Paul le connaissait… C’était un visage pareil à celui qu’il avait vu autrefois, un visage d’homme et non de femme, mais la même sorte de visage, incontestablement la même sorte… Un visage marqué par seize années de plus et par une expression plus dure et plus mauvaise encore, mais la même sorte de visage, la même sorte !…

Et l’homme frappa Paul, comme la femme d’autrefois, comme celle qui était morte depuis, avait frappé le père de Paul.

Si Paul Delroze chancela, ce fut plutôt par suite de l’ébranlement nerveux que lui causa l’aspect de ce fantôme, car la lame du poignard, heurtant le bouton qui fermait l’épaulette de drap de sa veste, vola en éclats. Étourdi, les yeux voilés de brume, il perçut le bruit de la porte, puis le grincement de la clef dans la serrure, et enfin le ronflement d’une automobile qui démarrait de l’autre côté de la muraille. Quand Paul sortit de sa torpeur, il n’y avait plus rien à faire. L’individu et ses deux acolytes étaient hors d’atteinte.

Pour l’instant d’ailleurs, le mystère de la ressemblance incompréhensible entre l’être d’autrefois et l’être d’aujourd’hui l’absorbait tout entier. Il ne pensait qu’à cela : « La comtesse d’Andeville est morte, et voilà qu’elle ressuscite sous l’apparence d’un homme dont le visage est le visage même qu’elle aurait actuellement. Visage de parent ? Visage de frère inconnu, de frère jumeau ? »

Et il songea :

« Après tout, est-ce que je ne me trompe pas ? Ne suis-je pas victime d’une hallucination, si naturelle dans la crise que je traverse ? Qui m’assure qu’il y a le moindre rapport entre le passé et le présent ? Il me faudrait une preuve. »

Cette preuve, elle se trouvait à la disposition de Paul, et si forte qu’il lui fut impossible de douter plus longtemps.