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L’ÉCLAT D’OBUS

quant sa vie pour obéir à un devoir qu’elle jugeait de valeur plus haute que sa vie, Élisabeth prenait aux yeux de Paul une noblesse singulière. Elle était bien la femme qu’il avait aimée et chérie, et la femme qu’il aimait encore.

Paul s’arrêta. Il s’était aventuré avec ses hommes sur un terrain plus découvert, et probablement repéré, que l’ennemi arrosait de mitraille. Plusieurs soldats furent culbutés.

— Halte ! commanda-t-il, tout le monde à plat ventre.

Il empoigna Bernard.

— Mais couche-toi donc, petit ! Pourquoi t’exposer inutilement ?… Reste là… Ne bouge pas…

Il le maintenait à terre d’un geste amical, lui entourait le cou et lui parlait avec douceur, comme s’il eût voulu manifester au frère toute la tendresse qui lui remontait au cœur pour sa chère Élisabeth. Il oubliait les âpres paroles qu’il avait dites à Bernard la veille au soir, et il lui en disait d’autres toutes différentes où palpitait une affection qu’il avait reniée.

— Ne bouge pas, petit. Vois-tu, je n’aurais pas dû te prendre avec moi et t’emmener, comme cela, dans cette fournaise. Je suis responsable de toi, et je ne veux pas… je ne veux pas que tu sois touché.

Le feu diminua. En rampant, les hommes atteignirent un double rang de peupliers au long desquels ils progressèrent et qui les conduisit en pente douce vers une crête que coupait un chemin creux. Paul, ayant escaladé le talus et dominant ainsi le plateau d’Ornequin, aperçut au loin les ruines du village, l’église écroulée, et, plus à gauche, un chaos de pierres et d’arbres d’où émergeaient