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L’ÉCLAT D’OBUS
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les couloirs de l’Argonne, que ce fût vers le Nord ou vers l’Est quand on envoya sa division renforcer les troupes de la frontière, qu’il fût couché à plat ventre et qu’il rampât dans les terres labourées, ou bien debout et qu’il chargeât à la baïonnette, il allait de l’avant, et chaque pas était une délivrance, et chaque pas était une conquête.

Chaque pas aussi exaspérait sa haine. Oh ! comme son père avait eu raison de les exécrer, ces gens-là ! Aujourd’hui Paul les voyait à l’œuvre. Partout c’était la dévastation stupide et l’anéantissement irraisonné. Partout l’incendie, et le pillage, et la mort. Otages fusillés, femmes assassinées bêtement, pour le plaisir. Églises, châteaux, maisons de riches et masures de pauvres, il ne restait plus rien. Les ruines elles-mêmes avaient été détruites et les cadavres torturés.

Quelle joie de battre un tel ennemi ! Bien que réduit à la moitié de son effectif, le régiment de Paul, lâché comme une meute, mordait sans répit la bête fauve. Elle semblait plus hargneuse et plus redoutable à mesure qu’elle approchait de la frontière, et l’on fonçait encore sur elle dans l’espoir fou de lui donner le coup de grâce.

Et un jour, sur le poteau qui marquait l’embranchement de deux routes, Paul lut :


Corvigny, 14 kil.
Ornequin, 31 kil. 400.
La frontière, 38 kil. 300.


Corvigny ! Ornequin ! Avec quelle émotion de tout son être il lut ces syllabes imprévues !